Anticiper les décisions, arbitrer des choix libres et éclairés

"Tout au cours de l’évolution, des ajustements, des réaménagements, une négociation avec soi-même sont nécessaires. Comment anticiper, alors qu’il est si difficile de vivre au jour le jour ?"

Publié le : 11 Septembre 2014

Processus d’acceptation

La chronicité d’une maladie ou sa longue durée, suppose l’inscription de l’état présent dans une temporalité. Cela implique la prise en compte, non seulement de cet état présent, mais aussi de l’état antérieur et de l’état futur “anticipé“. Nous sommes dans un double rapport au temps et à la maladie. Or la maladie nous paralyse, ce qui est à venir  nous effraie. Le risque de l’annonce de la maladie est de précipiter le sujet dans un avenir catastrophique et de lui couper toute possibilité d’agir. Les représentations qui nourrissent l’effroi, la souffrance morale, entraînent parfois une sorte de paralysie psychique qui empêche toute mise en mouvement possible, toute transformation et élaboration, pour s’adapter à la maladie. Ce qui peut justifier l’annonce est justement de permettre au sujet de devenir acteur de sa maladie, de valider son savoir, de lui donner les moyens de s’inscrire dans un à-venir possible, de le remettre en mouvement.  Si l’annonce est un acte fondateur dans le parcours avec la maladie, elle n’est toutefois qu’un temps du processus d’acceptation.  Tout au cours de l’évolution, des ajustements, des réaménagements, une négociation avec soi-même sont nécessaires. Comment anticiper, alors qu’il est si difficile de vivre au jour le jour ? Anticiper c’est-à-dire littéralement “prendre avant“, ou encore  prévenir, devancer, faire une chose avant le temps. La place de l’accompagnant ou du soignant professionnel est difficile. Difficile car il s’agit de devancer les conséquences d’une évolution sans devancer le sujet lui-même, sans le priver de sa capacité de décision. Difficile car il s’agit de devancer les conséquences d’une évolution, possible, probable ou certaine, en composant avec l’incertitude et il ne faut pas priver l’autre de tout espoir.
 

Information et libre choix

Quelle information faut-il donner sur l’évolution, à quel moment, comment est-elle comprise ? Dans quelle mesure l’information permet-elle un choix libre et éclairé ? Il ne s’agit pas de parler de la maladie, mais de parler avec le sujet de sa maladie, d’inscrire ce dialogue dans une relation qui prenne en compte la réalité de l’autre, de prendre conscience des enjeux liés à sa maladie et de ceux dans lesquels nous sommes pris en tant que soignants dans un contexte institutionnel ou social qui nous dépasse souvent. Dans quelle mesure le système de soin avec ses procédures laisse-t-il sa place au patient enfermé dans la chronicité du soin, de la routine, de l’impuissance à guérir ? Quelle place a-t-il vraiment dans les décisions ? Quelle place a-t-on vraiment lorsque l’on est en perte d’autonomie et atteint par des troubles cognitifs ou comportementaux ? Quelle place, par exemple, pour un sujet atteint de maladie d’Alzheimer ? Nous devons particulièrement être attentifs en tant que soignants au poids des décisions pour la famille, au poids de l’absence de réciprocité dans la relation avec le sujet malade. Nous devons être attentifs à rester suffisamment disponibles pour écouter la souffrance de celui qui est exclu du dialogue ou des décisions et pour accompagner cette souffrance. La situation d’arbitrage dans laquelle le soignant peut être placé est délicate. Prendre position contre l’un ou pour l’autre n’a pas de sens. C’est avec chacun, pas à pas, qu’il faut retrouver une position d’équilibre qui tienne compte des droits du malade, de l’inquiétude des proches et de la nécessité de clarifier notre rôle. Note rôle qui est, non pas d’arbitrer ou de porter un jugement, mais d’accueillir la position des uns et des autres et de s’interroger ensemble, d’examiner différentes possibilités. Ainsi une réflexion peut se remettre en mouvement, au rythme de chacun, un dialogue peut se ré-ouvrir nous amenant parfois à reconnaître qu’il n’y a plus de choix possible et que cela fait mal. C’est cette souffrance qu’il nous faut pouvoir accompagner, dans des moments de rencontre qui nous obligent, aussi, à nous confronter à notre propre impuissance et  à notre propre  fragilité.

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