L’identité à l’épreuve du temps

"La perte de confiance en soi peut être profonde lorsque l’on présente une altération cognitive, notamment mnésique ou langagière, que l’on devient dépendant et que l’on voit son autonomie mise en péril avec une perte des capacités de prise de décision, des capacités de jugement. La précarité sociale, professionnelle, familiale induite par ces symptômes est très invalidante, venant là encore modifier la propre image de sa place dans la société."

Publié le : 11 Septembre 2014

Fragilisation profonde de la perception de soi

Notre identité se construit, se développe, évolue à travers des périodes fondamentales comme l’enfance et l’adolescence, l’âge adulte puis les dernières phases du vieillissement. Elle est influencée par nos perceptions et actions au sein d’un environnement complexe et évolutif. Les maladies neurodégénératives représentent des menaces pour la perception d’un patient de sa propre identité du fait de la chronicité de symptômes aux conséquences sévères et intimes. Le « temps » d’une maladie neurodégénérative est long, il induit une fragilisation profonde de la perception de soi.
Une grande diversité de signes et symptômes s’annonce au moment du diagnostic d’une maladie neurodégénérative. D’abord très frustres voir uniquement subjectifs, ces symptômes vont s’aggraver inexorablement durant de longues périodes, malgré parfois des améliorations transitoires. La phase d’une perception presque exclusivement subjective de modifications de ses propres capacités d’action ou de perception, que ce soit d’un point de vu des performances motrices, de sa forme physique, comme cela peut se voir dans la maladie de Parkinson, ou de ses performances mnésiques qui déclinent avant même que l’entourage ne puisse s’en apercevoir, peut fragiliser l’état thymique du patient, sa confiance en lui et induire déjà une tendance vers le retrait social. Le regard des autres se modifie dès que les symptômes sont perceptibles. La progression de la symptomatologie dans le temps va dépendre du type de maladie neurodégénérative, mais également de l’individu, depuis son patrimoine génétique jusqu’à ses habitudes de vie, ainsi que de son environnement. Certaines maladies vont se révéler par des symptômes moteurs comme un ralentissement et une rigidité en cas de syndrome Parkinsonien, une asthénie, une baisse de la force comme dans la sclérose latérale amyotrophique, ou des mouvements anormaux très vite gênants socialement avec la maladie de Huntington. La diminution des performances motrices d’un patient implique déjà une modification de sa propre identité de par l’apparence de son comportement moteur, une forme d’autocensure de ses déplacements avec parfois un risque de chutes. Les symptômes cognitifs et psycho-comportementaux associés à certaines maladies impactent encore plus la confiance en soi et la perception de sa propre identité. Le regard des autres se modifie aux premières erreurs significatives observées par le milieu professionnel ou l’entourage proche, aux premières modifications de la personnalité comme l’irritabilité ou la désinhibition souvent observées dans les dégénérescences lobaires fronto-temporales. Bien avant l’anosognosie, les modifications intimes de ses propres performances cognitives voire de sa personnalité peuvent certainement être perçues par le patient ce qui peut engendrer ou renforcer un état dépressif, un trouble anxieux et un retrait social.
 

Temps longs de la maladie, conséquences complexes

Ces signes et symptômes, qu’ils soient d’ordre physique, cognitif ou comportemental, vont inexorablement s’aggraver conduisant vers des chutes à répétition par exemple ou une grabatisation, des troubles vésico-sphinctériens et sexuels, ce qui là encore accentue la fragilisation de la confiance en soi et vient bouleverser les éléments intimes de sa propre identité. Certains symptômes moins connus comme les troubles de la perception des messages sociaux, des expressions faciales, venant s’inscrire en miroir d’une altération de sa propre expression des émotions, peuvent fondamentalement modifier les rapports sociaux et induire des difficultés d’interprétation des messages proposés par l’environnement humain, ceci étant particulièrement observé dans la maladie de Parkinson et dans les démences fronto-temporales. La perte de confiance en soi peut être profonde lorsque l’on présente une altération cognitive, notamment mnésique ou langagière, que l’on devient dépendant et que l’on voit son autonomie mise en péril avec une perte des capacités de prise de décision, des capacités de jugement. La précarité sociale, professionnelle, familiale induite par ces symptômes est très invalidante, venant là encore modifier la propre image de sa place dans la société. Les troubles psycho-comportementaux tel qu’ils sont observés précocement ou en cours d’évolution dans la maladie d’Alzheimer, la maladie à corps de Lewy ou les démences fronto-temporales, que ce soit l’apathie très gênante pour les proches, les hallucinations notamment visuelles, les idées délirantes ou l’agressivité et l’agitation, modifient la perception des autres mais certainement la perception de ce que l’on est en tant que patient et en tant qu’individu.
 
Le temps des maladies dégénératives est souvent long et la fin de vie s’annonce très progressivement après une phase de handicap majeur et de grabatisation. Le pronostic vital est discuté plus précocement dans certaines maladies comme la sclérose latérale amyotrophique du fait des déficits moteurs sévères et précoces. Cette déchéance physique dont le rythme d’installation et de progression est variable ne peut que renforcer les bouleversements de la perception de soi engendrés par ces maladies.
 
La question de l’hérédité et des conséquences sur la descendance est parfois posée par les maladies neurodégénératives, notamment dans les dégénérescences lobaires fronto-temporales, la maladie d’Alzheimer ou la maladie de Huntington. Les modifications de perception de sa propre identité peuvent donc survenir au sein d’une famille dont un ou plusieurs membres sont affectés d’une maladie neurodégénérative, ceci bien avant toute confirmation génétique d’un risque pour soi-même ou tout symptôme suggérant l’installation de la pathologie. Le risque concernant sa propre descendance doit être assumé dans certains cas et un sentiment de culpabilité peut venir aggraver l’état psychologique des patients. L’absence de traitement préventif et la forte pénétrance de ces maladies lorsqu’une anomalie génétique est détectée génèrent un stress individuel et familial qu’il faut très vite diagnostiquer et prendre en soins.
Ainsi, les maladies neurodégénératives vont menacer très vite la perception par un patient de sa propre identité, parfois avant l’installation de tout symptôme dans les cas héréditaires, parfois dès les stades purement subjectifs qui peuvent durer plusieurs années, dès les stades d’installation de symptômes moteurs, cognitifs ou comportementaux et tout au long de la progression de cette symptomatologie multimodale jusqu’à la fin de vie. Il parait déterminant pour les professionnels de santé et pour toute personne intervenant dans l’environnement de ces patients et de ces familles, d’intégrer cette dimension des maladies neurodégénératives, encore très mal évaluée et considérée.

Dans ce dossier

Maladies neurodégénératives : Attentes et savoirs partagés