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Du consentement dit "libre et éclairé" à la décision partagée

"La maladie d’Alzheimer, les maladies apparentées et les maladies psychiques interrogent de façon spécifique la notion de consentement, dans la mesure où elles empêchent à des degrés variables le patient d’avoir une juste appréciation des conséquences de ses choix. Les explications doivent alors bien sûr être adaptées aux possibilités de compréhension de la personne, mais cela n’est pas toujours suffisant : « Demandez à mes enfants ! », entendons-nous souvent."

Par: Aline Corvol, Gériatre, CHU de Rennes /

Publié le : 01 Avril 2014

L’éthique biomédicale contemporaine n’est pas née de la volonté des praticiens d’améliorer leurs pratiques, mais d’abord en réaction aux scandales déclenchés par certaines recherches biomédicales pendant et après la guerre. C’est suite au rapport Belmont[1] (1979), qui définit des recommandations visant à protéger les personnes participant à des recherches biomédicales, que l’exigence d’un consentement libre et éclairé s’est répandu, avec son corolaire le formulaire de consentement écrit et signé par le patient. Je ne discuterai pas ici le bien-fondé d’une telle procédure dans le cadre de travaux de recherche mais de son extension au domaine du soin. L’utilisation du concept de consentement libre et éclairé dans le domaine du soin soulève en effet plusieurs questions quant à sa pertinence et à sa mise une œuvre.
Une première question porte sur le « comment » éclairer le consentement d’une personne rendue vulnérable par sa maladie. En effet, la vulnérabilité qu’entraine toute maladie aiguë limite la possibilité d’un consentement libre et éclairé aux soins, car la fatigue, la douleur et surtout l’angoisse générée sont susceptibles d’altérer le discernement de la personne. Quels que soit les efforts du corps médical pour fournir une information adaptée, le choc lié à l’annonce d’un diagnostic grave ne facilite certainement pas l’élaboration d’un choix éclairé.

Certaines sociétés savantes proposent des formulaires qui décrivent l’examen ou le traitement proposé et énumèrent les risques, sans pouvoir cependant préciser les bénéfices attendus (voir par exemples les formulaires de consentement proposés sur le site de la société française de gastroentérologie[2]). Si ces documents peuvent avoir un intérêt pour certains patients, en récapitulant par écrit des informations données à l’oral, ils ne peuvent bien sûr garantir un choix éclairé, et risquent de conduire parfois au résultat contraire s’ils augmentent l’angoisse de la personne malade. Leur principal limite tient à ce que l’évaluation des risques et des bénéfices ne peut être qu’individuelle. De plus, les explications doivent être adaptées aux attentes et aux capacités de compréhension de la personne. D’après notre expérience, ces formulaires sont souvent mal utilisés, certaines équipes exigeant par exemple pour réaliser un examen que le consentement soit signé, que le malade soit aveugle, aphasique ou tétraplégique! Caricature de consentement, la signature semble alors avoir pour objectif premier de protéger non pas les droits du patient mais le praticien contre d’éventuelles poursuites judiciaires. Ce sentiment illusoire de protection interroge la place de l’écrit. Pourquoi le consentement aux soins est-il en général oral pour les traitements médicaux, même les plus risqués comme les chimiothérapies anti-cancéreuses, et écrit pour les actes chirurgicaux ou endoscopiques? La loi n’exige un écrit que dans certaines situations particulières (dons d’organes ou de gamètes, interruption volontaire de grossesse par exemple). L’écrit a certainement un intérêt pédagogique dans certains cas, comme outil pour solenniser la prise de décision, mais on voit mal en quoi son utilisation devrait être systématique hors obligation légale.

La maladie d’Alzheimer, les maladies apparentées et les maladies psychiques interrogent de façon spécifique la notion de consentement, dans la mesure où elles empêchent à des degrés variables le patient d’avoir une juste appréciation des conséquences de ses choix. Les explications doivent alors bien sûr être adaptées aux possibilités de compréhension de la personne, mais cela n’est pas toujours suffisant : « Demandez à mes enfants ! », entendons-nous souvent. Comment comprendre cette demande d’implication des proches dans la décision ? Lorsque ce souhait vient de la personne, il ne doit pas être compris comme l’expression d’une démission, mais plutôt comme une reconnaissance par la personne elle-même qu’elle a besoin d’assistance, et qu’elle est capable de désigner une (ou souvent plusieurs) personne(s) de confiance. Cette aide à la décision, reconnue par la loi[3] depuis 2005, gagnerait à être mieux comprise et reconnue. Alors que le concept de « consentement éclairé » présuppose un individu fondamentalement indépendant, capable de poser seul ses choix et de les assumer, celui de « consentement assisté » reconnait l’interdépendance dans laquelle nous nous trouvons tous[4] : lorsque nous prenons une décision, nous tenons compte des conséquences qu’elle aura sur nos proches. Il serait absurde d’exiger d’un individu qu’ils prennent une décision sans tenir compte de l’avis de son entourage. Il s’agit ici de reconnaitre le proche dans son rôle de gardien de « l’identité relationnelle » de la personne. Loin d’être une menace dont il faudrait préserver la personne fragilisée, le proche apparait au contraire comme celui dont la présence et les conseils vont sécuriser l’identité de la personne. Le concept d’autonomie relationnelle[5] permet de mieux comprendre la légitimité du cercle familial et amical à participer aux décisions concernant une personne vulnérable. La mise en œuvre d’un consentement assisté suppose cependant qu’un soigant puisse expliquer à l’entourage ce qui lui est demandé : non de consentir pour autrui (consentement substitué) ni de donner son propre avis par rapport aux conséquences éventuelles sur eux-mêmes en tant qu’aidant, mais bien un rôle d’aide à la décision, de conseil. Le proche peut aussi témoigner que tout a été fait pour impliquer autant qu’elle le souhaitait ou le pouvait la personne dans la décision, et qu’elle a donné son assentiment[6]. Si un support écrit est utilisé pour le consentement, celui-ci pourrait être co-signé par le patient et son proche. Notre travail auprès des gestionnaires de cas[7] a montré que ces professionnels pratiquaient fréquemment cette cosignature, alors même que le formulaire d’entrée en gestion de cas ne prévoyait pas cette possibilité.
Une autre possibilité pour « éclairer » des personnes présentant des troubles cognitifs est de leur donner d’expérimenter ce qu’on leur propose plutôt que de simplement le leur décrire de façon abstraite. Ceci n’est bien sûr possible que pour des soins qui doivent être répétés dans le temps :on peut ainsi, à l’issue d’un traitement délivré en hospitalisation de jour (une transfusion sanguine par exemple), demander à la personne si elle est prête à revenir en cas de besoin. Ce « consentement a posteriori » est aussi utilisé dans le domaine social : la personne âgée « essaie » l’hébergement temporaire avant d’aller en EHPAD ; on l’incite à visiter un accueil de jour, à rencontrer une aide ménagère malgré un refus initial. Le soignant adopte alors dans un premier temps une attitude directive, paternaliste, mais ces essais permettent effectivement à la personne de comprendre ce qui lui est proposé, et son choix final sera sans doute plus éclairé que si le soignant avait respecté passivement un refus précipité.
 

Mais au-delà des interrogations des professionnels sur les moyens d’éclairer au mieux le consentement de la personne, c’est le concept même de consentement qui doit être interrogé. En effet, la notion de consentement sous-entend un choix en noir ou blanc, sans espace de négociation. Le médecin, l’expert, indique au patient ce qu’il doit faire. Celui-ci doit y consentir, ou refuser. Ce choix binaire est cohérent dans le cadre de la recherche, car il n’est pas envisageable d’adapter un protocole au cas par cas. Mais comment un consentement aux soins pourrait-il être libre, si aucune alternative n’est proposée? Quel choix reste-t-il à un patient en « refus de soins », si ce n’est, lorsqu’il est hospitalisé, une « sortie contre avis médical » ? Il arrive bien sûr que le traitement proposé ne soit effectivement pas négociable, en l’absence d’alternative valable. C’est le cas par exemple lorsqu’une chirurgie s’impose en urgence. C’est alors bien un consentement que le chirurgien va rechercher, consentement qui ne sera vraisemblablement ni libre ni éclairé dans ce cas. Mais dans les situations de soins au long cours, de maladies chroniques, le concept de décision partagée apparait beaucoup plus susceptible de favoriser une relation de soin, c’est-à-dire une relation qui soit en elle-même « soignante ». La décision partagée ouvre en effet un espace de négociation. Le médecin ne doit pas seulement informer le patient, il doit lui-même s’informer des préférences, des valeurs de celui-ci. C’est à partir de sa compréhension des priorités du patient qu’il pourra définir avec le patient le traitement le plus acceptable. Nos travaux ont montré que cette négociation était possible et avait un sens même avec les personnes souffrant de maladies neurodégénératives ou présentant des troubles psychiatriques[8]. Le patient, de son coté, est invité à participer à la décision plutôt que de la subir. Son « pouvoir d’agir », dont on trouve trace dans la notion plus large « d’empowerment », s’en trouve augmenté, et, ainsi responsabilisé, il pourra s’engager à suivre un traitement, voire à modifier certains comportements à risque. En un sens, il s’agit alors plus d’un contrat, où deux parties s’engagent l’une envers l’autre d’égal à égal, que d’un consentement. Sous forme de contrat, l’écrit peut prendre un nouveau sens. Le soignant n’est pas celui qui fait signer des papiers parce qu’il se méfie du patient, il est celui qui s’engage dans un accompagnement.

Ces réflexions ont des conséquences concrètes sur nos pratiques. Ainsi, David Alfandre et John Henning Schumann ont récemment défendu dans le JAMA[9] (the Journal of the American Medical Association) que les « sorties contre avis médical » et les formulaires qui les accompagnent n’avaient pas lieu d’être. Toute sortie est en effet négociée entre médecin et patient. Dans les cas où le médecin estimerait que la sortie met en danger le patient, son rôle est de tenter de convaincre le patient de rester, et, si il n’y parvient pas, d’assurer au mieux la continuité des soins en ambulatoire, et de laisser la porte ouverte à une éventuelle réhospitalisation. La signature d’un formulaire de sortie contre avis médical compromet le maintien d’une relation soignante. En cas de procès, un tel formulaire ne saurait prouver que le médecin a rempli ses obligations, et pourrait au contraire être utilisé pour montrer son absence de volonté de dialogue[10].
Nos pratiques sont donc encore loin d’une médecine « centrée sur le patient ». Face aux maladies chroniques, l’idée d’un consentement libre et éclairé apparait comme bien théorique, et devrait être remplacé par le concept plus pragmatique de décision partagée. Ce partage ouvre en effet un espace à la discussion qui permet au patient de trouver le rôle actif qui doit être le sien. Cette discussion peut, avec l’accord de la personne concernée, s’ouvrir aux proches, en tant qu’ils sont garants de l’identité relationnelle de la personne, en particulier lorsque celle-ci présente des troubles cognitifs. L’utilisation de l’écrit ne saurait avoir pour objet une illusoire protection juridique des soignants, mais a un sens lorsqu’une signature marque un engagement réciproque.

 


[1] http://www.hhs.gov/ohrp/humansubjects/guidance/belmont.html

[2] http://www.snfge.asso.fr/03-Professionnels/0J-consentement/info-patient.asp

[3] Loi n°2005-370 du 22 avril 2005

[4] Keller, J. (1997): Autonomy, Relationality, and Feminist Ethics. Hypatia, 12(2):152-164.

[5] Perkins, Molly M.; Ball, Mary M.; Whittington, Frank J.; Hollingsworth, Carole (2012): Relational autonomy in assisted living: A focus on diverse care settings for older adults. Journal of Aging Studies 26 (2):214–225

[6] Hirsch E. L’Association médicale mondiale intronise le principe d’assentiment. http://www.espace-ethique-alzheimer.org/encarts_details.php?n=327&e=3

[7] Corvol A. Thèse d’éthique médicale : « Valeurs, attitudes et pratiques des gestionnaires de cas en gérontologie : une éthique professionnelle en construction », soutenue 8/11/2013 à l’université Paris Descartes.

[8] Corvol A, Moutel G, Somme D. Engagement soignant dans la relation : l’exemple de la gestion de cas. Gérontologie et société, mars 2013

[9] AlfandreD; Schumann JH (2013) What is wrong with discharges against medical advice (and how to fix them) JAMA 310(22):2393-2394

[10] Devitt PJ, Devitt AC, Dewan M. Does identifying a discharge as “against medical advice” confer legal protection? J Fam Pract. 2000;49(3):224-227.