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L’annonce du décès d’un proche en institution

"Une femme de 85 ans déambule toute la journée, en parlant peu et souvent dans un jargon peu compréhensible. À l'annonce du décès de son mari (qu'elle voyait peu), elle prend toute la mesure de ce qui lui est dit, pose des questions adaptées sur les circonstances du décès (malgré ses troubles phasiques), nous remercie de ce qui est dit. Elle reprend ensuite sa déambulation sans que l'on sache ce qui reste de l'information."

Par: Jean-Luc Noël, Psychologue Clinicien, Paris, Co-président du conseil scientifique de l’association Old Up, Psychologue référent de l’association ISATIS /

Publié le : 28 Juillet 2014

Une situation banale rencontrée en institution est l’annonce du décès d’un proche à un résident. S’il relève du droit de chacun de recevoir une information le concernant, on constate que les choses ne sont pas si simples quand il s’agit d’un résident qui souffre de troubles cognitifs sévères. En effet, il n’est pas rare que l’opportunité ou non d’annoncer cette mauvaise nouvelle nous confronte à un dilemme.
Il va sans dire que cette situation est dommageable car, même si elle part d’une bonne intention (la volonté de ne pas faire de mal à des personnes déjà fragilisée par les troubles cognitifs), les effets délétères d’une « non-annonce » existent bel et bien.
Cette volonté de protection par le non-dit ne fonctionne pas. En effet, dans le non-dit, il y a bien ce qui ne se dit pas (dans le verbal), mais aussi ce qui se dit (dans le non verbal). Or, si le verbal peut se taire, le non verbal s’exprime de toute façon.
 
Prenons quelques exemples.
Une femme de 90 ans, malade d’Alzheimer très évoluée dans la maladie, grabataire et sans communication verbale, avait la visite de son mari tous les jours au déjeuner (il lui donnait à manger et elle mangeait très bien). Cet homme meurt brutalement et la famille décide de ne pas annoncer cette mauvaise nouvelle, persuadée qu’elle ne comprendra pas, ou que si elle comprenait ce serait encore plus terrible pour elle. Le jour des obsèques, la famille entière réunie (ce qui n’arrive jamais) rend visite à cette femme après l’enterrement en manifestant une joie en parfait décalage avec la tonalité sombre des habits de deuil qui sont portés. La patiente présente une agitation inhabituelle, refuse de s’alimenter.
On peut supposer que le non verbal est alors entièrement perçu par la malade, mais qu’elle est incapable, de part l’altération de ses facultés intellectuelles, de faire le lien entre ce qu’elle voit et ce qui est dit (c’est bien cela la maladie d’Alzheimer). Nous ne savons pas comment elle se représente réellement  la non venue de son mari, mais elle ressent l'absence, c'est une certitude. Les soignants, eux aussi, s’éloignent sans s’en rendre compte. Ils le diront ensuite, ils craignaient que la patiente pose la question qu’ils ne voulaient pas entendre : « où est mon mari ? »
Après l'annonce du décès, la patiente a cessé d'être agitée et les soignants ont réinvesti la relation. Elle remange…
 
Une femme de 85 ans déambule toute la journée, en parlant peu et souvent dans un jargon peu compréhensible. À l'annonce du décès de son mari (qu'elle voyait peu),  elle prend toute la mesure de ce qui lui est dit, pose des questions adaptées sur les circonstances du décès (malgré ses troubles phasiques), nous remercie de ce qui est dit. Elle reprend ensuite sa déambulation sans que l'on sache ce qui reste de l'information.
 
On annonce à une malade le décès de sa fille (à la suite d'une longue maladie). Cette patiente marque le coup, nous remercie de lui avoir dit, mais nous demande de ne plus jamais en parler.
 
Les choses sont parfois plus compliquées. Ainsi une malade à qui nous annonçons le décès de son premier mari ne se souvient pas de lui. 
 
Ces exemples illustrent à leur manière le fait qu’annoncer reste un préalable, que le malade en fait ce qu'il peut, ou ce qu'il veut. Ce n'est finalement pas à l'équipe soignante de se poser la question de ce que l'on doit dire. Elle doit plutôt réfléchir à la façon d’accompagner le deuil. En effet, pourquoi retirer la possibilité de vivre son deuil en cachant ce qui est pourtant si visible ? En croyant protéger, n’est-ce pas l’humanité même des patients que l’on nie ?
Cette question de l’annonce doit évidemment nous faire aussi penser institutionnellement — même si c’est un autre sujet —  à ce que l’on met en place pour la prise en compte de la mort (si présente et parfois si cachée) en terme d’informations (comment informe-t-on les voisins de table ou de chambre par exemple ?), de rituels  et de paroles à échanger. La prise en compte de la mort dans les lieux de vie que sont nos institutions est une exigence à laquelle nous devons travailler au risque de passer à côté de nos résidents.