La chambre d’en face : La surprise de l’amour

"En réaffirmant la suprématie des émotions comme sources de richesse chez un individu fut-il malade, le réalisateur Michael Noer convoque ces fameuses « capacités restantes » autour desquelles peut s’organiser une prise en charge personnalisée pour les malades atteints d’Alzheimer."

Publié le : 11 Janvier 2017

Ce long-métrage réalisé par Michael Noer, projeté le 21 Novembre dernier à Toulouse lors des Journées Nationales Éthique et maladies neurodégénératives retrace le quotidien et les aspirations d’une femme confrontée au déni de sa pathologie neurodégénérative alors même qu’elle découvre l’amour et trouve dans ce formidable ressort le moyen de dépasser la réalité de sa pathologie. En conjuguant fiction et réalité le réalisateur danois nous livre un joli portrait de femme et une vision réenchantée des ressources toujours vivaces de l’être humain en situation de vulnérabilité.
Ce texte est le premier d'une série, issue d'une collaboration entre l'Espace éthique/IDF et Monique Charron. Cette série abordera les liens entre éthique et création artistique. Contacter l'auteur.


Maîtresse de maison accomplie - avant de se révéler amoureuse inquiète - Lily (Ghita Norby) est aux petits soins pour Max, son mari (Jens Brenaa)  dont elle partage le triste quotidien dans une maison de retraite médicalisée où l’ont conduit des attaques successives.
Réduite à partager cette vie dénuée totalement de dialogue puisqu’il ne peut plus s’exprimer, elle s’accroche aux gestes d’antan, à cette musique qui lui permet de s’évader vers un Paris sublimé qu’elle a toujours eu envie de découvrir, à sa mission d’aidant, tentant d’imposer encore son empreinte auprès d’un personnel soignant décidé à ignorer toute initiative personnelle. Rebelle et désespérée elle fait de son mieux dans une situation face à laquelle, éloignée de son domicile, elle se trouve impuissante.
Les envies contrastées de cette femme attentionnée qui s’est fixée pour mission de s’occuper de son mari jusque dans les moindres détails y compris dans la fabrication d’un gâteau d’anniversaire vont basculer lorsqu’elle rencontre le pilote Erik (Michel Sand), ce nouveau pensionnaire bien vivant et facétieux qui occupe la chambre d’en face.
Ce trompettiste à ses heures va vite cristalliser tous ses rêves et venir combler le vide amoureux de toute une vie. Entre son mari désormais réduit à la position horizontale qui n’a pas su la rendre heureuse et ce séducteur indemne de problèmes locomoteurs, elle va choisir la vie pour rompre la répétition de ce quotidien qui l’emprisonne et échapper à une mort annoncée.

Un amour bien palpable

Pour cet amour tout neuf qui surgit à point nommé pour lui redonner goût à la vie, Lily redeviendra coquette, se maquillera, osera quelques pas de danse, fera des projets de voyage, n’hésitant pas à acheter deux billets pour Paris pour concrétiser son rêve, bravant le regard et les critiques de son entourage. Elle ira jusqu'à avouer son adultère à son mari, à la manière d’une adolescente qui se confie à ses parents avant de quitter la maison. De très jolis moments de complicité amoureuse nous permettent à nous spectateurs d’oublier le spectacle désolant et extrêmement réaliste de séances d’animation culturelle déployés au sein de l’institution.
Entre culpabilité, besoin de complicité et d’affection et soif de liberté, Lily va se heurter à l’incompréhension de ses proches – de sa fille très critique envers cette idylle qu’elle juge inconvenante, de l’institution garante de l’ordre qui par ailleurs est supposée contenir et protéger cette femme en proie à des troubles de mémoire et de comportement annonciateurs d’une maladie d’Alzheimer bientôt diagnostiquée.
Le film nous mettait déjà, par petites touches : oublis, répétition de gestes devenus automatiques, sur la piste d’un diagnostic confirmé par un scanner cérébral. Le réalisateur s’emploie à réhabiliter la puissance de l’amour qui vient triompher de la maladie. Cette romance tardive entre pensionnaires d’une maison de retraite pourrait apparaître comme une fiction venant transcender la réalité, celle de cette implacable dégénérescence ponctuée par des oublis, une désorientation spatio-temporelle, la perte progressive des praxies.
Il n’en est rien car cet amour censé être une fiction est bien palpable. « Je suis si heureuse de t’avoir trouvé ! confie Lily à son partenaire
L’amour devient réalité malgré les contraintes et obstacles imposés par la progression de la pathologie, dont les contours s’effacent pour laisser place à la vie émotionnelle.
En réaffirmant la suprématie des émotions comme sources de richesse chez un individu fut-il malade, le réalisateur Michael Noer convoque ces fameuses « capacités restantes » autour desquelles peut s’organiser une prise en charge personnalisée pour les malades atteints d’Alzheimer.
Finalement, même tardivement Lily n’est-elle pas en train de réussir sa vie ?
Entre la main tendue vers l’autre, sur la première image et la main secourable de la fin, la problématique de l’aidant traverse obstinément tout le film, aidant sur lequel on peut s’appuyer avant qu’il ne devienne à son tour vulnérable.
Sublimée par l’interprétation de Ghita Norby, tour à tour autoritaire,  rebelle, perdue, désorientée, attentive, rêveuse, abattue, amoureuse, trahie, agressive, la Chambre d’en face nous dévoile les soubresauts émotionnels d’une femme qui se débat en pleine tourmente neurologique et réaffirme la suprématie des sentiments.