L’annonce anticipée : interroger les intentions et les conséquences éthiques

"Notre système nerveux est riche de plus de 80 milliards de neurones. Les maladies dites dégénératives évoluent dans cette richesse cellulaire bien longtemps avant de devenir cliniquement décelables. C’est là tout le drame de l’impuissance curative des neurologues. Nos traitements arrivent beaucoup trop tard."

Publié le : 03 juin 2015

De nombreux milieux de recherche de haut niveau international considèrent le XXIe siècle comme le siècle des neurosciences. Parce qu’elles creusent leurs questionnements sur l’humain et ses mécanismes neuronaux, les neurosciences représentent un parfait exemple de multidisciplinarité entre la rencontre des sciences du vivant et des sciences appliquées, des sciences technologiques et des sciences mathématiques. L’expansion de la neuro-technologie fait également s’interroger les acteurs des sciences humaines et sociales. Ses avancées mettent à jour de nombreux sujets de réflexion éthique. À mes yeux de neurologue, neuroscientifique et sensible depuis une décennie à la question éthique portant sur les valeurs du prendre en soin, les neurosciences sont un très vaste domaine de sujets de recherches passionnantes. Leurs retombées pratiques sont rapidement fécondes pour le quotidien de chacun. Toutefois, elles conduisent du même coup à se questionner également du point de vue de la philosophie morale.
Dans ce cadre, et en conséquences de l’intérêt suscité par la question de l’homme neuronal, le citoyen, malade ou non, approuve la recherche jusqu’à en exiger son application dans son quotidien social, affectif et médical. Rappelons le sondage BVA, réalisé auprès de 1 016 personnes pour le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et paru dans Le Figaro en décembre 2012. Il fait apparaître que « la recherche génétique et la compréhension des mécanismes du cerveau sont réclamées par 84 et 90 % des personnes interrogées. »
L’annonce diagnostique anticipée dans le cadre des MND est un paradigme qui se situe au carrefour de ces exigences : la mise en connaissance d’une information qui se veut prédictive d’un avenir pour une personne asymptomatique. Pour le médecin annonciateur, c’est une démarche monumentale ; pour le receveur, c’est un évènement phénoménal. Et pourtant, les deux personnes en présence, au cours de cet état de siège de la singularité, ne partagent peut-être pas les mêmes intentions de l’action. Pour l’un, est-ce vraiment une communication ? Pour l’autre, est-ce implicitement une chance ? Est-ce que l’imprévisibilité de l’avenir a perdu la fraîcheur de l’action dans la liberté, et ne sait plus que tutoyer le fatalisme de l’épouvantail ?
Notre système nerveux est riche de plus de 80 milliards de neurones. Les maladies dites dégénératives évoluent dans cette richesse cellulaire bien longtemps avant de devenir cliniquement décelables. C’est là tout le drame de  l’impuissance curative des neurologues. Nos traitements arrivent beaucoup trop tard. Énoncer par avance, pour le diseur, est-il synonyme d’une ouverture vers l’anticipation thérapeutique ? Ou alors une telle pratique de la science prédictive ne serait-elle qu’une instrumentalisation de l’être en devenir à des fins de recherche ?  De l’autre côté du fait verbal de l’anticipation, l’apprentissage d’un savoir du futur n’oriente-t-il pas le récepteur vers un décalage du choix, vers une existence qui, parce qu’elle est devenue conscience, se croit pouvoir gérer tous les possibles du plus lointain des temps de vie ?
Et pourtant, démontrer l’ingéniosité de nos recherches sur ces maladies de la dégénérescence et l’efficacité de nos traitements allopathiques ne pourront se faire qu’en collaborant avec des identités qui se prêteront au sacrifice de leur dialogue intérieur du mystère des demain. À mon sens, en matière existentielle, n’oublions pas que, chaque jour de notre pratique du soin, l’incertitude est une niche d’espoir et de création ; le doute est un ferment d’alternatives et un guide des inquiétudes.
La vérité est ce qui est utile.