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Maladie d'Alzheimer : Engagements de loyauté et serments du passé

"La réflexion éthique nous permet de poser en d’autres termes la question de ces loyautés présentes et passées, du malade face à lui-même, au sein d’une famille et d’une histoire, sous le regard aussi des soignants et du corps social. Le malade, plus tout à fait le même et pourtant pas tout à fait un autre…"

Par: Geneviève Demoures, Psycho-gériatre, chef de service, Le verger des Balans /

Publié le : 23 Septembre 2015

Loyautés et serments du passé

Au coeur de la maladie d’Alzheimer, sur le long chemin des rencontres parta­gées avec le malade, ses proches et les soignants, au-delà des questionnements, des inquiétudes, des conflits et de la honte parfois, il est un espace de parole et de pensée qui interroge la loyauté, ou plutôt les loyautés. Être loyal, outre le fait d’ « être conforme à la loi », introduit la notion de fidé­lité aux engagements, d’honnêteté, de dévouement et de respect selon la définition du Robert.
La réflexion éthique nous permet de poser en d’autres termes la question de ces loyautés présentes et passées, du malade face à lui-même, au sein d’une famille et d’une histoire, sous le regard aussi des soignants et du corps social.
Le malade, plus tout à fait le même et pourtant pas tout à fait un autre…
Mme R. : « Je sais que je ne suis plus Moi, mais je ne sais plus qui était Moi… ». L’effroi de ne plus les reconnaître, de ne plus Se reconnaître, de ne plus savoir quelles étaient ses valeurs, ses choix de vie… mais aussi de se découvrir d’autres fidélités enfouies, de mettre à nu des engagements reniés ou une « conscience » nouvelle de l’essentiel.
Réécrire son histoire pour la rendre plus acceptable à ses propres yeux n’est pas toujours se mentir à soi-même… Patients qui découvrent, qui se découvrent, dans des désirs et des élans qui nous interrogent, sur des idées neuves, des paroles et des comportements inha­bituels; ils ont tellement changé.. Dans le regard qu’ils posent sur eux et dans les yeux de ceux qui les aiment.
Au-delà des non-dits, des mensonges et des secrets de famille : « Ce n’est plus ma mère… ».
Loyautés et serments du passé, respect de la parole donnée, dévouement jusqu’à l’extrême et engagements difficiles à tenir, contrat notarié pour la transmission de la ferme et des terres avec obligation de soins… pour celui qui reste sur la propriété. « J’ai juré à mon père sur son lit de mort que je ne ‘placerai’ jamais maman dans une maison… » Marylène, petite dernière d’une famille nombreuse a toujours entendu qu’elle était destinée à être « le bâton de vieillesse ». Comment déroger à cette promesse et à la désignation implicite de ses frères et soeurs ? Peut-on délier le serment et qui doit le faire ? Au nom de quoi ?
 

Respect de la parole donnée

Injonction de soins, obligation alimentaire, et ces discours mensongers sur les enfants qui abandonnent leurs vieux alors que s’ils n’étaient pas là pour les papiers et les courses, le téléphone dans la nuit, et même la toilette ou les repas, et enfin la recherche difficile d’un établissement après de longs mois d’atermoiement, qui donc assumerait un tel engagement ? : « Elle ne veut pas, je ne peux pas lui faire ça… »
Fidélité sans faille au nom d’un amour sans cesse renouvelé pour le meilleur, et aussi pour le pire mainte­nant : « Je ne t’abandonnerai jamais » parce que ce serait m’abandonner aussi.
Loyautés familiales oubliées ou distendues, mises à mal ou rejetées…
La loyauté se construit autour d’un projet, d’une his­toire, d’un idéal, de valeurs partagées. Elle se découvre et ne va pas de soi. Elle oblige à des renoncements, grandit, envahit tout et fait vaciller les certitudes. Elle suppose un retour sur soi, une rencontre avec les autres, une capacité à donner et à éprouver, à penser, à entendre et à s’exprimer.
Les loyautés des soignants s’expriment face au secret confié à demi-mot, dans le respect de la parole donnée, dans l’appréciation de l’attente de l’autre : « Qu’atten­dez-vous de moi ? » Dire ou ne pas dire, dans les réponses précautionneuses, au-delà des aveux d’impuis­sance ? C’est là tout le sens de l’engagement dans une alliance thérapeutique et du dévouement à la cause du malade : « Toi tu me regardes à l’endroit, les autres ils me voyaient de travers… ».
Mais loyauté aussi face à soi-même, qui peut mettre à mal les professionnels entre un idéal de soin qui a fait choisir ce métier, le besoin de réparer, le désir de maî­trise, la nécessité de compassion, et des contraintes de temps, de nombre et de statut jugées inacceptables.
Loyauté au sein d’une équipe, dans le respect de la fonc­tion de chacun, et la confiance donnée aux remarques, aux pratiques, aux paroles différentes. Alors bien au-delà des projets de vie, de soin, de service, institution­nels, au-delà des recommandations et des protocoles, c’est l’engagement de tous qui autorisera l’expression de cette loyauté.
Magnifiques soignants et aides à domicile ou en établis­sement, qui trouvez en vous encore le courage de ne pas déserter, de résister, de vous laisser interpeler, de mani­fester toujours cette fidélité à l’humain, loyalement, fidèles à vos valeurs et à la parole donnée.
Avons-nous pensé à ce que deviendrait une démocratie si, aveuglée par les chimères du paraître, des intérêts et des postures, elle ne s’inscrivait plus dans cette loyauté à soi-même et aux autres, au service des plus vulnérables, de ceux qui les aiment et de ceux qui les soignent ?