Pourquoi et comment donner une place à l’annonce diagnostique au sein d’une consultation mémoire ?

Face à la démarche d’objectivation des signes menant à l’établissement du diagnostic, un autre travail se construit, trvail de rencontre avec le malade et sa famille, dans l’incontournable prise en considération de ses ou de leurs attentes, de leurs représentations de ce qui se produit, de la manière dont il /ils peuvent s’approprier des éléments de cette démarche afin de trouver, pour eux-mêmes, et dans leur singularité un aménagement qui permette de vivre avec leurs difficultés.

Publié le : 11 Octobre 2013

La démarche d’objectivation contribuant au diagnostic des maladies cognitives organiques a considérablement évolué ces dernières années. Les critères s’affinent, les méthodes médicales et neuropsychologiques de dépistage se précisent, portées par la prise en considération croissante des prospectives épidémiologiques concernant ces affections. On sait, aujourd’hui, détecter une maladie cognitive organique bien avant la perte de l’indépendance qui signe la démence. Les centres de diagnostic se développent, favorisés par les pouvoirs publics, mettant en avant la nécessité, en termes de prévention et de prise en charge, de détecter précocement les maladies neuro-dégénératives.
Or, si des bénéfices sont à attendre, pour le patient lui-même et pour son entourage, ceux-ci ne peuvent reposer à l’heure actuelle sur la seule prescription d’un traitement pharmacologique dont on sait qu’il n’a pas de propriétés curatives. Les bénéfices directs d’une démarche de consultation diagnostique sont à approcher en termes de suite à donner, dans l’accompagnement, les conseils, le soutien des malades et de leurs proches.

Incontournable prise en considération des attentes

Face à la démarche rigoureuse d’objectivation des signes menant à l’établissement du diagnostic, un autre travail se construit, et dans le même temps. Ce travail est celui de la rencontre avec le malade et sa famille, dans l’incontournable prise en considération de ses ou de leurs attentes, de leurs représentations de ce qui se produit, de la manière dont il /ils peuvent s’approprier des éléments de cette démarche afin de trouver, pour eux-mêmes, et dans leur singularité un aménagement qui permette de vivre avec leurs difficultés.
Cette démarche, portée par l’exigence éthique qui considère que le diagnostic n’a de sens que si des bénéfices sont à attendre pour le patient, ne va pas de soi. Le praticien, l’équipe butent notamment, et bien souvent, sur la communication du diagnostic d’une maladie non seulement incurable, probable, mais aussi qui atteint précisément le patient dans ses facultés de mémoire, de cognition, du rapport au monde et qui engage vers un processus accéléré d’involution psychique et physique. Entre la nécessité de livrer un diagnostic, de traiter au mieux la maladie, de considérer le patient comme capable de faire face, de chercher à le protéger, de respecter son auto-détermination, d’osciller entre le respect, pour le patient, du droit de savoir et de celui de ne pas savoir, l’équipe navigue alors dans ces interrogations et ces incertitudes. Dire : oui, mais … que dire, quand et comment le dire ?
Aussi, les professionnels de la consultation du groupe hospitalier Sainte Périne ont vu la nécessité de « travailler » plus avant cette question cruciale de l’annonce diagnostique dans laquelle se trouve condensé tout le sens d’une démarche non cantonnée à la technique objectivante. L’équipe s’accorde fondamentalement sur le principe de chercher à dire la « vérité » au malade, mais le « comment le dire » réclame tout à la fois une réflexion éthique et clinique, ainsi qu’une concertation renouvelée pour chaque malade en tenant compte, le mieux possible, de la demande du patient ou de son entourage, de leur histoire, de leurs craintes et de leurs défenses. L’affinement de l’approche de l’annonce du diagnostic, dans ce travail pluridisciplinaire de la consultation, réclame tout à la fois des propositions pratiques et d’organisation qui constituent un cadre garant d’un espace d’élaboration autour de cette question qui ne peut trouver de réponse univoque.


 

Dire la vérité au malade

Évolution médicale

L’attitude médicale a considérablement évolué ces vingt dernières années, passant d’un paternalisme qui visait à protéger le patient du découragement et de la violence de l’annonce d’une maladie grave, à un partage de l’information diagnostique avec le patient considéré alors comme acteur de sa propre santé (Pancrazi, 2004 ; Hoerni, 2004).
Cette évolution dans la relation médecin-malade, notamment en cancérologie, a été largement influencée par les progrès scientifiques offrant ainsi des perspectives d’espoir thérapeutiques et de guérison (Selmès & Dérouesné, 2004). En 1960, seuls 10% des cancérologues américains livraient le diagnostic de cancer aux patients (Oken, 1961). Près de vingt ans plus tard, ils étaient 98 % à donner cette annonce (Novack et al., 1979). Les difficultés inhérentes à l’annonce n’en sont pas éludées pour autant. En France, les associations de patients réclamant, notamment, plus d’authenticité et de disponibilité de la part de leurs médecin, ont sans doute beaucoup contribué à la création du Plan Cancer qui propose un dispositif visant à faciliter, structurer et accompagner l’annonce diagnostique.
La communication du diagnostic de maladie d’Alzheimer, comme il l’a souvent été repéré dans la littérature, parait plus délicate. Seulement 40 % des gériatres américains livreraient le diagnostic à leur patient (Pinner, 2000 ; Johnson et al., 2000). En Europe, l’étude OPDAL (Gely-Nargeot et al., 2003) montre que l’annonce diagnostique est donnée dans 53 % des cas, avec des différences selon les habitudes culturelles (le diagnostic serait plus volontiers donné chez les anglais que dans les pays latins de l’Espagne et de l’Italie) et selon la spécialité du médecin (les psychiatres seraient plus enclins à révéler le diagnostic). Les médecins généralistes du réseau Sentinelle déclarent pour plus de la moitié d’entre eux avoir annoncé le diagnostic (Cantegreil-Kallen et al., 2004). En consultation mémoire, l’annonce serait plus souvent pratiquée : dans 70 % des cas en moyenne (Trichet-Llory & Mahieux, 2005).
D’autres études comparatives confirment encore que les patients souffrant de maladie d’Alzheimer sont bien moins souvent informés que dans les cas de cancer (Vassilas & Donaldson, 1999) ou même d’affections psychiatriques comme la schizophrénie (Clafferty, 1998).
 

Le cadre législatif et déontologique

En 1994, la Convention des droits de l’homme et de la bioéthique [article 10] précise que « toute personne a le droit de connaître toute information recueillie sur sa santé…de façon claire (… )».
La loi du 4 mars 2002 dite loi Kouchner impose un libre accès au dossier médical par le patient, mais ne stipule en aucun cas une obligation médico-légale d’annonce diagnostique.
Dans les articles 35 et 36 du code de déontologie médicale il est précisé :
[article 35] : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il propose. Tout au long de sa maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension…Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus. »
[article 36] : « le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. »
Ainsi les cadres juridiques et déontologiques sont posés, mais laissent au médecin la liberté d’une annonce diagnostique ou non, en faisant preuve de discernement : « il tient compte de la personnalité du patient », il « veille a leur compréhension », il lui est rappelé également qu’« un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection. »
 

Les recommandations éthiques pour la maladie d’Alzheimer

Se fondant notamment sur les principes d’autonomie et de respect de la dimension humaine, les dernières recommandations éthiques issues d’un groupe de travail mené par le Pr. Blanchard (2007) dans le cadre du Plan Alzheimer 2004-2007 sont assez affirmatives : elles spécifient que l’annonce du diagnostic à la personne malade, même si elle a des difficultés de compréhension, même si la famille s’y oppose, est un objectif à toujours rechercher. L’annonce à la famille ou à la personne de confiance ne devrait être pratiquée qu’avec l’accord, ne serait-ce qu’implicite, du patient. Les soignants qui s’occupent du malade ne devraient être, également, informés qu’avec l’accord du patient, et pour les seuls éléments diagnostiques nécessaires aux soins. L’information doit être rapidement partagée avec le médecin traitant.
Il est recommandé, quant aux modalités de l’annonce, de prendre en compte l’histoire de vie du patient, sa représentation de la maladie, ses craintes. Il est précisé que l’annonce ne se fait pas en une seule fois, qu’elle n’a pas de caractère d’urgence, et qu’elle peut être graduée. Enfin il est pointé que l’annonce ne peut être envisagée en dehors d’un suivi du patient et de son entourage.


 

Les difficultés à dire

Pour pouvoir dire, et s’ajuster dans la communication du diagnostic, encore faut-il reconnaître combien cette exigence est difficile à tenir (Derouesné, 2005).
Le nom lui-même de la maladie parait difficile à prononcer par le médecin qui annonce le diagnostic : dans l’étude de Johnson (2000) où l’annonce est effectuée dans 40 % des cas, la maladie d’Alzheimer n’est nommée que dans 25 % des cas. En consultation mémoire, si l’annonce est faite dans 70% des cas, le nom de la maladie n’est explicitement donné que dans 28,6% des communications (Trichel-Llory & Mahieux, 2005). En outre, le pronostic, les propositions de prise en charge sont loin d’être systématiquement abordés dans le cadre de l’annonce comme le montre l’étude de Brodaty (1990) : une annonce du diagnostic dans 61 % des cas, mais l’évocation du pronostic et de la prise en charge dans 25 % des cas seulement.
Il existe inévitablement des réticences à dire la maladie au patient. Avant tout, il s’agit de ne pas oublier combien il est difficile de porter la responsabilité de l’annonce d’une mauvaise nouvelle, d’assumer le risque de la colère, du désespoir, de l’effroi, de l’effondrement psychique du patient. Entre fuite, évitement, banalisation, rationalisations défensives, le médecin peut être pris dans ses propres mouvements internes qui ne facilitent pas l’abord d’un diagnostic si péjoratif.
Il peut se demander si le diagnostic de maladie d’Alzheimer, qui ne repose encore que sur une probabilité, doit être nécessairement évoqué. Pourtant, les méthodes diagnostiques sont à présent très affinées (Selmes & Dérouesné, 2004), le diagnostic serait l’un des moins incertains en psychiatrie (Pinner & Bouman, 2003), et l’incertitude relative n’empêche pas d’expliquer au patient ce qui a été découvert et l’hypothèse que cela suscite (Gzyl, 2003).
Par ailleurs, le droit de ne pas savoir peut être questionné. S’il est à respecter, il peut également être le reflet des propres contres-attitudes de celui qui « sait » : le médecin consultant, souvent appuyé par la demande familiale. Or, le médecin annonce plus facilement à la famille. Conscient de l’importance des « aidants naturels », de la nécessaire alliance thérapeutique qui doit s’instaurer, soumis bien souvent à une demande qui émane de la famille, le médecin estime en effet que la famille ne serait pas respectée si son désir de savoir n’était pas pris en compte. Il existe en outre, pour le médecin, un présupposé implicite qui est que, même s’ils sont affectés, les proches ne sont pas porteurs de la maladie et le pronostic péjoratif ne les touche pas avec autant d’intensité que le malade lui-même. Aussi, et bien souvent, la famille est informée en dehors de la présence de patient. L’attitude de précaution médicale peut elle-même aviver les craintes d’un environnement proche qui cherche à protéger le malade du bouleversement qu’il subit lui-même. Lorsque la question est posée aux proches (non malades) des patients : 71 % d’entre eux voudraient savoir le diagnostic s’ils étaient malades, ils ne sont que 17 % à souhaiter que le malade concerné le sache (Maguire et al. 1996). Cette apparente contradiction montre bien l’impact de ce mouvement de protection, qui risque d’engluer la relation dans le non dit et la gêne.
Les réticences sont loin d’être infondées. L’annonce d’une maladie grave, qui préfigure la perte irréversible des facultés d’être au monde, la perte d’identité et de l’existence, est susceptible de créer un véritable séisme psychique. Le bouleversement peut être d’autant plus délicat à métaboliser que les capacités psychiques fines de liaison et d’élaboration sont déjà fragilisées. Mais la vulnérabilité psychique préexiste bien souvent à la révélation du diagnostic, avec des composantes anxieuses et dépressives répondant aux changements discrets, perçus comme étranges et inquiétants, au sentiment de pouvoir moins bien compter sur soi-même.
Hors champ d’une parole authentique pour ce qui le concerne en premier lieu, le sujet court le risque d’être exclu de sa propre histoire, comme s’il ne pouvait pas pressentir dans sa réalité interne tout comme dans l’attitude de ceux qui « savent » autour de lui des signaux, des changements tout aussi inquiétants, comme s’il était, d’emblée, dessaisi de toute compétence à faire quelque chose, pour lui-même, de ce diagnostic. Le malade isolé dans la « conspiration du silence », protégé du dire, n’est pas pour autant protégé des effets de la maladie. La parole partagée peut donner une contention à l’angoisse et permettre d’engager un processus d’élaboration et d’anticipation.
Pour faire face à l’impact de l’annonce, les patients mobilisent des défenses psychiques (sidération, déni, projection, etc.) qui peuvent parfois prendre une allure pathologique. Mais ces mouvements s’inscrivent dans une temporalité psychique qui ne peut donc être réduite à l’instant de l’annonce. Aussi, des voies de dégagement restent toujours à attendre, dans le respect de l’évolution propre à chacun.
 

Les modalités de l’annonce diagnostique

Des principes généraux peuvent être établis, qui structurent le cadre de l’annonce, mais ils sont avant tout sous-tendus par la vigilance et le questionnement constants quant à chaque situation, nécessairement singulière (Derouesné, 2005).
L’annonce est un processus. Elle ne se résume pas à l’instant de la consultation médicale, et doit s’ajuster aux attentes et aux particularités de chaque malade. La communication du diagnostic nécessite de prendre et de donner du temps. Il s’agit d’une démarche qui se prépare, se construit, et qui s’accompagne.
L’attitude du médecin est essentielle, dans une relation qui réclame tout à la fois de l’empathie et, de la part du consultant, la capacité à contenir éventuellement les affects d’angoisse, de souffrance, de colère du patient et de l‘entourage sans en être submergé. Il lui faut aussi pouvoir accepter et respecter les mouvements de sidération, le déni, les avancées et les retours en arrière.
Hoerni (2004), dans ses recommandations aux médecins pour le partage des mauvaises nouvelles, insiste sur la nécessité de dire le vrai tout en jaugeant de la nouvelle à transmettre, en reconnaissant et en se préparant aux difficultés. Il s’agit, dans une bonne distance à trouver, de commencer par écouter le malade et de partager avec lui la parole, d’éviter de fuir les questions ou de noyer la mauvaise nouvelle dans un flot de paroles. Il s’agit, également, de confirmer sa disponibilité et de proposer un accompagnement.
Ces recommandations impliquent, pour le médecin, une disponibilité et un ajustement dans la relation qui relèvent, pour beaucoup, de son sens clinique et de sa propre capacité à assumer ce partage difficile.
Il convient également de ne pas oublier que, bien souvent, ce qu’attendent en termes d’information le patient et son entourage, n’est pas nécessairement le nom de la maladie et ses particularités physiologiques, mais des indications sur ce qui peut se passer, pour eux-mêmes, dans ce qu’ils sont emmenés à vivre (les difficultés au quotidien, les changements dans la relation). D’après une enquête européenne auprès des aidants (Gely-Nargeot et al., 2003), ces derniers attendent, en effet, des conseils sur les modalités qui pourraient leur permettre de faire face au sein de la famille ou vis-à-vis du patient. L’anticipation de l’évolution à prévoir, les apports thérapeutiques (médicamenteux et non médicamenteux), les modalités d’organisation pour le maintien à domicile, les questions légales sont autant de questions qui, trouvant des propositions et des voies de réponses, viennent aider le patient et son entourage. Ce partage d’information constitue déjà un accompagnement.
Si l’annonce est, de fait, communiquée par le médecin, le travail pluridisciplinaire de la consultation mémoire offre les possibilités d’une démarche concertée, préparée et coordonnée autour du patient et de son entourage (Pinner & Bouman, 2003). Dans la préparation de l’annonce éventuelle au cours de l’avancée de la démarche diagnostique, dans le temps de mise en commun des éléments recueillis et d’une réflexion d’équipe, dans celui qui suit l’annonce, chaque professionnel amené à rencontrer le patient et sa famille est susceptible de contribuer à cette démarche d’annonce.


 

Place de l’annonce diagnostique dans la consultation mémoire du groupe hospitalier Sainte-Périne - Rossini - Chardon, AP-HP

Déroulement « usuel » du bilan médico-psycho-social (BMPS)

Les consultants entreprennent seuls ou avec leur proche la démarche de consultation après un courrier obligatoire du médecin référent. Le délai d’attente est actuellement de un à deux mois entre la demande de rendez-vous et la première consultation.
Lors de la première consultation, le consultant et ses proches sont reçus ensemble par le médecin. C’est le temps important d’un interrogatoire minutieux qui concerne le recueil de l’histoire de vie du patient, de sa structure familiale, de son réseau social, de la qualité de son habitat, des antécédents, des traitements prescrits et d’une éventuelle automédication. Sont longuement abordés l’histoire des troubles cognitifs et de leur répercussion sur la vie quotidienne. Les informations sont demandées essentiellement au patient puis aux proches pour compléments d’informations. L’examen clinique et l’évaluation brève des capacités cognitives sont réalisés ensuite, le plus souvent hors de la présence des proches. Au terme de cette démarche clinique, un premier bilan oral est fait avec le patient puis secondairement avec ses proches. Une démarche diagnostique plus précise est alors décidée, parfois négociée avec le patient qui n’était pas l’initiateur de cette consultation. C’est le moment des premières questions quant à l’attribution des troubles de mémoire, des conséquences sur la vie quotidienne, parfois des premiers traitements du fait d’une anxiété ou d’une dépression importante et surtout des explications quant à la démarche globale de la consultation. Selon les premiers renseignements colligés lors de l’interrogatoire, une entrevue avec l’assistante socio-éducative peut être nécessaire ou même urgente. Selon les disponibilités, celle-ci est parfois possible dès la sortie du cabinet médical et les premières mesures d’aides seront établies le plus rapidement possible.
Dans un délai de un à deux mois, seront réalisés le bilan neuropsychologique, le bilan social, ainsi que les examens biologiques et iconographiques. Cette période est donc rythmée, essentiellement, par les rencontres avec un(e) psychologue et avec l’assistante socio-éducative. Le moment du bilan neuropsychologique ne se limite pas à la passation des tests. Une large place est donnée à l’évaluation de l’attente et des demandes de la personne qui consulte et de ses proches s’ils sont présents, à l’évaluation de la problématique psychique, de ce qu’elle ressent de ses troubles cognitifs. La restitution du bilan, avec le partage du constat des difficultés et des capacités préservées, avec la formulation de pistes de compréhension, constituent un temps d’ouverture et de préparation à la restitution diagnostique ultérieure. Le bilan social est également un moment d’échange où se formulent et se précisent les difficultés vécues au quotidien, un temps souvent facilitant la communication entre le patient et ses proches.
Une fois les tests psychométriques, les examens biologiques, la tomodensitométrie ou l’imagerie par résonance magnétiques effectués, les médecins, les psychologues et l’assistante socio-éducative se réunissent en réunion de synthèse. Chacun peut alors, après présentation du cas clinique du patient, donner son avis d’expert quant au diagnostic à poser, ou parfois décider d’étendre le champ des investigations si est rencontrée une difficulté diagnostique. Parfois est faite mention de la fragilité d’un patient, ou de son réseau d’aide et de la difficulté d’annonce du diagnostic : du mot d’Alzheimer redouté, de la fragilité psychologique, des troubles de la compréhension…ou tout au contraire de l’attente d’un diagnostic pour mieux comprendre la situation actuelle de répercussions des troubles tant pour le patient que pour les proches.
De façon classique, l’annonce du diagnostic est ensuite effectuée par le gériatre, seul, pendant la seconde consultation. Cette rencontre, cruciale pour l’avenir de la prise en charge, s’effectue le plus souvent en vingt à trente minutes, temps de dictée pour le médecin généraliste référent compris. Sauf dans les cas où l’annonce a été repérée comme particulièrement difficile, et le patient est alors de suivi par un(e) psychologue clinicien(ne), le patient ne revient plus en consultation pendant une période de six mois. Il reste livré alors à la somme de questions qui concernent ce diagnostic, sa nouvelle vie quotidienne et sa nouvelle relation avec ses proches.


 

Axes de travail pour l’annonce du diagnostic à la consultation du Groupe hospitalier

Dressant le bilan du déroulement de la consultation et de la place de l’annonce diagnostique au sein de cette démarche, le groupe de travail, dirigé par le Professeur Ankri, s’est accordé sur des principes généraux structurant la consultation, repérant la cohérence de l’approche et les difficultés également rencontrées. Il a formulé des propositions concrètes dont certaines sont dès à présent mises en œuvre.
1. Favoriser encore l’implication et l’engagement commun de l’équipe autour de l’annonce diagnostique.
En donnant une place plus marquée à cette réflexion, tout en structurant un cadre mieux défini, ce travail vise à favoriser une vigilance et une interrogation guidant chaque intervention professionnelle, dans une démarche concertée.
Le temps de synthèse pluridisciplinaire est celui de la mise en commun des éléments conduisant au diagnostic, mais c’est aussi le temps des propositions de prise en charge, en évoquant le patient et son entourage dans leurs difficultés, y compris face à la maladie et dans le fil de leur propre histoire. C’est, encore, le temps d’une démarche concertée d’élaboration, susceptible de contribuer à l’évolution propre de chacun dans sa pratique professionnelle.
L’accent a été mis sur la nécessité d’aborder en réunion de synthèse, pour chaque situation évoquée, la question de l’annonce diagnostique. Cet objectif, qui permet également au médecin annonceur de se préparer au partage avec le patient et d’être épaulé dans sa tâche par l’approche collégiale, reste parfois difficile à maintenir devant le manque de temps souhaitable pour mener une réflexion approfondie, mais il est posé comme une exigence favorisant l’implication de chacun.
2. Donner du temps au patient et à ses proches, dans la démarche de préparation à l’annonce, de l’annonce diagnostique et de l’accompagnement qui s’impose
Donner du temps s’entend ici dans sa double acception : concevoir la démarche de l’annonce comme inscrite dans une temporalité propre qui est à respecter, et offrir un plus large espace de parole visant à l’accompagnement.
Le déroulement actuel de la consultation offre la possibilité de respecter et de favoriser un temps d’élaboration pour le patient et ses proches, comme pour l’équipe de la consultation. Si les délais d’attente avant le premier rendez-vous, entre la première consultation médicale et le temps de restitution sont parfois trop longs, chaque temps de la démarche, chaque nouveau rendez-vous, vient rythmer et contribuer au cheminement nécessairement long qui prépare à l’annonce de diagnostic. Ce fractionnement, assez original, de « la » journée d’Hôpital de Jour dans laquelle s’inscrit le bilan, est à préserver.
La consultation d’annonce reste, actuellement, limitée dans le temps d’une consultation médicale usuelle. Au cas par cas, le patient ou sa famille peuvent bénéficier d’une aide psychologique individuelle ou de groupe, de conseils de l’assistante socio-éducative plus soutenus, mais la place accordée à cet accompagnement n’est pas suffisante pour répondre aux objectifs posés. Il a été proposé de majorer le temps de l’annonce du diagnostic et d’apporter plusieurs possibilités d’aide ou de soutien.
Un projet pourrait être de structurer l’annonce diagnostique dans une demie journée d’hospitalisation de jour, où le patient et sa famille pourraient bénéficier d’une attention spécifique lors de l’annonce et du temps de post-annonce. L’attente des patients, des proches et des professionnels de la consultation réclame en effet une plus grande disponibilité, dans une approche sensible et d’empathie. La pluridisciplinarité de la consultation est à favoriser dans cette approche où se combinent, dans l’accompagnement du patient, les compétences médicales, psychologiques et sociales. Anticipée et préparée en réunion de synthèse, cette demi-journée offrirait notamment la possibilité au patient et à ses proches, et s’ils en sont d’accord, de bénéficier sans trop de délai d’un soutien psychologique et/ou d’un entretien avec l’assistante socio-éducative.
Lors de l’entretien psychologique de post-annonce, l’échange vise à favoriser la parole, l’expression émotionnelle, les questionnements s’ils se dessinent, à faire le lien avec les difficultés rencontrées, à engager si possible au-delà du soutien immédiat, une démarche d’élaboration et de projection dans l’avenir. Des conseils, des éléments de compréhension peuvent ici être amenés. Ces entretiens peuvent être renouvelés, sur une courte période. Une proposition de prise en charge psychologique individuelle ou de groupe peut être évaluée et envisagée, la prise en charge individuelle nécessitant, dans son cadre thérapeutique, le relais avec un(e) autre psychologue extérieur à cette démarche d’annonce.
L’assistante socio-éducative sera sollicitée si des difficultés nouvelles ont pu être décelées pendant les différents entretiens ou en réunion de synthèse. Mais une annonce diagnostique peut derechef déclencher de nouvelles craintes, de nouvelles questions ou une demande d’aide plus immédiate au domicile. Des conseils d’aménagement du domicile, de préparation à des démarches administratives, d’évaluation de la nécessité ou non d’une protection juridique seront possibles plus rapidement qu’à l’heure actuelle.
L’annonce diagnostique dans le cadre de cette demie journée d’hôpital de jour offrirait ainsi le temps nécessaire aux patients et aux aidants ainsi qu’un soutien professionnel plus réactif.
Ce projet s’inspire largement du dispositif d’annonce et de la mise en œuvre du Plan Cancer, qui prévoit (Bettevy, 2006)  de « … généraliser une consultation initiale longue destinée à expliquer à la personne malade et à sa famille le traitement proposé, les alternatives possibles, les effets indésirables des thérapeutiques, la possibilité de participer à des protocoles de recherche… ». Si les thérapeutiques engagées dans la maladie d’Alzheimer ne sont pas comparables aux protocoles et effets secondaires de celles proposées pour certains cancers, les informations à délivrer et l’accompagnement à assumer ne sont pas moindres. La structure donnée à la consultation d’annonce en cancérologie pourrait être adaptée pour les consultations concernant les pathologies cognitives organiques. Il s’agit là d’un engagement qui nécessite des moyens financiers (demi journée d’hôpital de jour, majoration des temps médicaux, de psychologues et d’assistants sociaux…) et donc une reconnaissance et d’une volonté politique affirmée. La recherche de l’obtention de la demie journée d’hôpital de jour d’annonce diagnostique fait partie des projets forts du service de consultation.
3. « Former » les médecins au travail d’annonce diagnostique
Si les propositions précédentes s’attachent à mieux structurer et donner place à la démarche orientée vers l’annonce diagnostique, une variable essentielle échappe à ces propositions pratiques : la qualité humaine et professionnelle de l’annonceur. Cette « minute éternelle » (Giraudet, 2006) est aussi celle du médecin, plusieurs fois par semaine. Les longues études médicales n’aménagent aucune formation spécifique à l’acte professionnel le plus complexe qui soit : celui du partage d’une mauvaise nouvelle.
Il est professionnellement attendu de la part du médecin une attitude combinant prudence, empathie, ajustement aux attentes et à la personnalité du patient et de ses proches, pédagogie, honnêteté sans précipitation… Mais ils s’agit de ne pas ignorer l’une des composantes majeure du dialogue : la disponibilité psychique du médecin annonceur réclamant un travail sur soi-même, reconnaissant son implication et ses propres mouvements contre-transférentiels et/ou projectifs dans ce partage difficile.  
Une formation classique ne saurait donner les règles de bonne conduite dans ce processus. Il s’agit plutôt de construire avec les autres professionnels de la consultation mémoire, avec l’aide des psychologues et psychiatres, une réflexion institutionnelle et une élaboration personnelle. Là encore, l’éthique de chacun ne se construira pas sur des lois, des codes ou des protocoles, mais sur sa propre réflexion, et sur la mise en commun des expériences ressenties comme délicates.
Les modalités sont encore à réfléchir quant à ces échanges visant à ne pas considérer qu’il y a une bonne ou une mauvaise annonce diagnostique, mais à mettre l’accent sur une relation de qualité et une écoute authentique avec le patient.
La constitution d’un groupe de type Balint encadré par un psychothérapeute extérieur à la consultation a été formulée. Elle se heurte notamment, pour l’heure, aux emplois du temps disparates et aux difficultés de réunir les intervenants qui le souhaiteraient.
En revanche, les discussions autour de l’annonce diagnostique pendant les réunions de synthèses où tous les professionnels sont présents, bien que ne remplissant pas tous les objectifs énoncés, sont favorisées. Il se dessine à présent le projet d’un travail d’études de cas, en dehors des réunions de synthèse. Mais il faut espérer que le besoin d’un travail personnel et collectif amènera à créer une instance plus solide de type Balint comme il en existe dans certains services de soins.


 

Conclusion

Au cours de l’élaboration d’un diagnostic se combine une double exigence : l’objectivation des troubles d’une part, conduisant à établir le diagnostic médical et envisager une prise en charge, la dimension clinique et plus subjective d’autre part, inhérente à la relation avec le patient ou sa famille, qui tienne compte de l’individualité, des aspects psychoaffectifs singuliers. Ce double mouvement (objectivation, disponibilité à la subjectivité) ne va pas toujours de soi, sans doute parce qu’il relève de deux « logiques » dont les contradictions doivent souvent être requestionnées. Mais c’est bien là que résident dès la première rencontre avec le patient et son entourage, les chances de trouver une attitude ajustée, dans une relation où le médecin qui pose le diagnostic et l’équipe pluridisciplinaire qui y contribue s’engagent à soutenir, informer, conseiller, accompagner, quasiment à « mains nues ».
Le travail sur l’annonce diagnostique au sein de la consultation cherche ici à prendre pleinement la mesure de l’exigence éthique qui impose de ne jamais perdre de vue le patient et son entourage derrière une démarche diagnostique qui ne peut aucunement être, en clinique, une fin en soi.
 
Ce travail fait suite au mémoire rédigé par le docteur B. Le Dastumer: « L’annonce au patient du diagnostic d’une maladie cognitive organique » (DIU « Troubles de la mémoire : neuropsychologie et psychiatrie », Université Paris V et Paris VII, 2006)

 

Bibliographie

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Cantegreil-Kallen I., Lieberherr D., Garcia A., Cadilhac M., Rigaud A.S., Flahault A. La détection de la maladie d’Alzheimer par le médecin généraliste : résultats d’une enquête préliminaire auprès des médecins du réseau Sentinelle. La Revue de Médecine Interne. 2004 ; 25 : 248-555.
Clafferty R.A., Brown K.W., McCabe E. Under half of psychiatrists tell patients their diagnosis of Alzheimer’s disease. BMJ. 1998, 317(7158) : 603b-603.
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