Alzheimer : comment intégrer cette priorité politique ?

"Nos responsabilités à l’égard des personnes vulnérables face à la maladie d’Alzheimer, doivent être pensées en des termes politiques et déclinées avec un souci de loyauté, de transparence, de réalisme et d’efficacité."

Publié le : 20 Septembre 2016

Le 21 septembre 2016, Journée mondiale Alzheimer, L’Espace national de réflexion éthique sur les maladies neurologiques dégénératives lance l’Initiative Alzheimer et société. Les municipalités, les entreprises, les chaînes de la grande distribution, les réseaux de pharmacies et de banques, les universités ainsi que tant d’autres acteurs de la vie sociale, culturelle et économique devraient inscrire au rang de leurs responsabilités l’attention portée aux vulnérabilités spécifiques des maladies neuro-évolutives.

Pour vous associer à l'initiative, n'hésitez pas à adresser un courrier à contact@espace-ethique.org Davantage d'information sur l'initiative seront rendues publiques dans les jours à venir.
 

Face à la relégation et à la précarisation

Nos responsabilités à l’égard des personnes vulnérables face à la maladie d’Alzheimer, doivent être pensées en des termes politiques et déclinées avec un souci de loyauté, de transparence, de réalisme et d’efficacité. Le temps des expressions compassionnelles, des semblants, des apparences, des résolutions solennelles qui détournent de l’impératif d’action semble révoqué. Nos malades expriment le besoin d’être respectés dans leurs droits, dans cette envie de vivre parmi nous, estimés pour ce qu’ils sont, considérés dans leur citoyenneté. Ils n’acceptent plus les négligences consenties au prétexte de représentations sociales péjoratives et discriminantes, de logiques hostiles au changement, de dispositifs réglementaires rigides qui détermineraient l’ordre des choses, de contraintes gestionnaires obsédées de rentabilité, ou du manque d’intérêt pour une cause que certains estimeraient indigne de considération.
Nous voilà à la croisée des chemins. Nos certitudes s’avèrent des plus fragiles en termes de réponses thérapeutiques, ce qui suscite l’inquiétante sensation d’impuissance à accompagner la montée en puissance d’un phénomène qui s’amplifie avec des conséquences humaines trop souvent ramenées à la relégation et à la précarisation. Saurons-nous penser et assumer en société nos responsabilités auprès d’une personne affectée en ce qu’elle est par une maladie qui abrase progressivement son identité et l’entraîne inexorablement vers une forme de dépendance extrême ? Quelle position politique tenir dans un contexte qui engage à ce point les valeurs de la démocratie en termes de dignité, de justice et de solidarité ?  Comment reconnaître et soutenir le rôle majeur assumé par les proches, les professionnels et membres d’associations ? Ils demeurent présents là où tant d’autres abdiquent et attendent désormais des relais sociaux à hauteur des enjeux.
 
 

Reconnaître et valoriser la personne

En France, 860 000 personnes sont affectées par la maladie d’Alzheimer ou des maladies apparentées. Les initiatives institutionnelles et associatives s’avèrent insuffisantes au regard d’attentes qui relèvent d’une mobilisation que d’autres pays ont déjà intégré à la vie publique.
Le déficit ou la perte d'autonomie psychique ne sauraient justifier l’indifférence ou les renoncements. Reconnaître et valoriser les capacités de la personne, lui proposer un cadre social accessible et adapté la maintient dans la perspective d’un projet de vie. Une « culture de la dépendance » nous fait défaut au moment où la progression quantitative de certaines maladies neuro-évolutives est considérée en France comme un phénomène qui ne peut que s’amplifier du fait de la longévité de la vie et de la carence actuelle en termes de réponses thérapeutiques. C’est dire l’ampleur des défis qu’il convient de mieux comprendre afin de les intégrer à nos choix politiques.
La maladie d’Alzheimer affecte les capacités cognitives de la personne, le rapport à son identité, sa relation à l‘autre. Elle se caractérise par une forme singulière de chronicité qui doit être prise en compte à la fois dans les dispositifs de notre système de santé et l’adaptation de notre société. Les limites de l’efficacité des traitements actuellement disponibles – dans le meilleur des cas ils contribuent à ralentir l’évolution de la maladie ou à en atténuer les symptômes – font de l’annonce de la maladie une sentence difficilement supportable pour la personne et ses proches. Le projet de vie semble d’emblée soumis aux aléas de circonstances peu maîtrisables.
Comment accompagner alors l’existence quotidienne de la personne malade dans un contexte humain et un environnement respectueux et bienveillants ? Comment permettre la poursuite d’une activité professionnelle, lorsque les premiers signes de la maladie se manifestent chez une personne jeune ? Quelles stratégies mettre en œuvre afin de surmonter l’exposition aux situations de dépendance, d’impuissance, à l’affaiblissement des capacités cognitives ?
 

L’Initiative Alzheimer et société

Dans le cadre de l’Espace national de réflexion éthique maladies neuro-dégénérative, nous avons engagé une réflexion qui permet aujourd’hui d'associer dans une démarche d’innovation sociale, des différentes instances publiques et privées amenées à susciter, dans ce domaine également, desa ctions de solidarité active. Il s’agit de notre “Initiative Alzheimer et société”. L’expérience développée dans les différents pays qui nous précèdent dans cette mobilisation, permet de comprendre que ces situations de dépendance peuvent être assumées comme l’opportunité de repenser le lien social et de renforcer la société autour de valeurs partagées.
La maladie d’Alzheimer doit donc mobiliser les capacités d’une société à créer des solidarités, à susciter une approche et des mesures pratiques soucieuses des liens et donc l’inclusion sociale. En partenariat avec les associations et les différents acteurs de la vie publique, il est nécessaire de s’investir dans une dynamique de sensibilisation de la société et d’être inventifs. Des réponses politiques dignes, courageuse, porteuses d’innovations sociales sont attendues : elles concernent également d’autres réalités de vulnérabilités dans la maladie, le handicap ou le vieillissement. Il y a urgence à agir. Les intervenants - notamment les proches au domicile ou les professionnels dans les institutions - sont trop souvent isolés sur le front d'un engagement qui épuise les forces, limite les capacités d’initiative, aboutissant parfois à des situations de maltraitance qui bafouent les droits des personnes.
 
Les municipalités, les services publics [administrations, postes, police, etc.] les entreprises [dans le transport, les gares, les aéroports, etc.], les chaînes de la grande distribution, les réseaux de pharmacies et de banques, les universités ainsi que tant d’autres acteurs de la vie sociale, culturelle et économique devraient inscrire au rang de leurs responsabilités l’attention portée aux vulnérabilités spécifiques des maladies neuro-évolutives. Des formations à destination des personnels sont désormais organisées, et des documents de sensibilisation seront rédigés en concertation avec les différents acteurs, comme il en existe pour les forces de l’ordre, afin d’apporter un soutien à des personnes désorientées. Nous proposons déjà avec l’association Voisins Solidaires un premier guide : « Un voisin malade. Et si on s’organisait pour l’aider ? »
Préserver la personne malade de ce qui menace d'abolir le sens de son existence au cœur de notre cité et lui permettre d’être assurée d’un accompagnement qui préserve sa citoyenneté en maintenant sa vie sociale, n’est-ce pas un engagement qui devrait être inscrit au rang de nos priorités politiques ?