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Alzheimer et maladies neuro-dégénératives : le sens d’une mobilisation

"Plus encore que les autres maladies chroniques, les maladies neurologiques dégénératives doivent mobiliser la capacité d’une société à créer des solidarités appelant ainsi à une approche moins strictement médicale et curative du soin que préventive, accompagnatrice et en mesure de préserver les liens sociaux dans un contexte où la maladie peut affecter les facultés relationnelles de la personne."

Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /

Publié le : 18 Septembre 2015

Ce que représentent ces maladies du cerveau

Le premier acte de l’Espace national de réflexion éthique sur les maladies neurologiques dégénératives (MND) a été son Université d’été 2015 « Vivre avec, vive ensemble ». Elle s’est tenue à Nantes du 14 au 16 septembre 2015, quelques jours avant la Journée mondiale Alzheimer du 21 septembre. C’est en effet « avec » et « ensemble » que nous avons abordé avec près de 700 participants cette nouvelle aventure éthique dans le cadre du plan MND 2014/2019.
Les maladies neurologiques dégénératives (MND) sont en progression de 22 % depuis 2010 : plus de 44 millions de personnes dans le monde en sont atteintes, et elles devraient être 115 millions vers 2050. La France a su développer à cet égard des approches innovantes, soucieuses de la dignité de la personne et de ses proches. Encore est-il nécessaire d’aller plus avant et de mieux comprendre les enjeux humains et sociaux de ces maladies. Elles en appellent à une évolution de nos mentalités, de nos attitudes, de nos modes de penser le vivre ensemble. À l’expression de solidarités pratiques témoignées à ceux qui s’éprouvent d’autant plus relégués dans le vécu de ces maladies ayant, entre autres effets, d’altérer plus ou moins intensément et de manière parfois irréversible leur autonomie, voire leurs capacités décisionnelles et relationnelles.
Les limites de l’efficacité des traitements actuellement disponibles (dans le meilleur des cas ils contribuent à ralentir l’évolution de la maladie ou à en atténuer les symptômes) font de l’annonce de la maladie une sentence difficilement supportable pour la personne ainsi que ses proches. Le projet de vie semble d’emblée soumis aux aléas de circonstances peu maîtrisables. Le parcours de soin, lui aussi, procède de dispositifs incertains et complexes ramené dans trop de cas au dédale de procédures peu adaptées aux besoins immédiats. Ainsi, l’évolutivité de certaines formes de MND expose aux situations de crises et de ruptures qu’il n’est que difficile d’anticiper et d’accompagner de manière cohérente et continue. Les représentations négatives de ces pathologies contribuent pour beaucoup à la solitude et à l’exclusion, aux discriminations mais également au sentiment de perte de dignité et d’estime de soi. Les MND affectent parfois les capacités cognitives de la personne, par conséquent le rapport à sa propre identité ainsi que les conditions de relation à l‘autre et avec l’environnement social. Le modèle prôné de l’autonomisme, dans un contexte sociétal où l’individualisme et les performances personnelles sont valorisés, rajoute à l’expérience d’une disqualification éprouvée durement comme une seconde peine par ceux qui vivent une vulnérabilité d’autant plus accablante qu’elle accentue leurs dépendances. Les répercussions sur les proches se caractérisent par la sensation d’un envahissement de l’espace privé par une maladie qui contribue parfois à dénaturer les rapports interindividuels, à déstructurer l’équilibre familial, à précariser ne serait-ce que du fait de réponses encore insuffisantes en termes de suivi au domicile ou d’accueil en structures de répit ou en institution. C’est dire l’ampleur des défis qu’il convient de mieux comprendre afin de les intégrer à nos choix politiques.
 

Une forme singulière de chronicité

Ces maladies qui affectent le cerveau se caractérisent par une forme singulière de chronicité qui doit être prise en compte dans les dispositifs de notre système de santé. Comment penser un parcours de soins tenant compte des besoins des personnes malades et de leurs proches, suffisamment adapté et réactif pour répondre à des situations évolutives et parfois urgentes ? Comment, dans ce contexte, faciliter la vie à domicile des personnes dans un contexte humain et social bienveillant ? Qu’en est-il de la poursuite d’une activité professionnelle, d’un projet de vie lorsque les premiers signes de la maladie se manifestent chez des personnes jeunes ? Par quels dispositifs maintenir la continuité de soutiens professionnels indispensables, en phase évoluée, de la maladie sans que le coût financier imparti aux familles accentue l’injustice ou incite à renoncer aux soins ? De quelle manière implémenter le recours aux nouvelles technologies susceptibles de compenser une progressive perte d’autonomie et de maintenir la personne dans un cadre de vie adapté à ses choix ainsi qu’à ses possibilités ?
Plus encore que les autres maladies chroniques, les maladies neurologiques dégénératives doivent mobiliser la capacité d’une société à créer des solidarités appelant ainsi à une approche moins strictement médicale et curative du soin que préventive, accompagnatrice et en mesure de préserver les liens sociaux dans un contexte où la maladie peut affecter les facultés relationnelles de la personne. La fragilisation des repères identitaires et temporels gère chez la personne malade une forme singulière d’inquiétude et/ou de honte sociale au regard de la perspective d’un déclin toujours possible des capacités. Ces maladies sollicitent l’implication et la responsabilité des proches d’une façon particulièrement intense dès les premiers symptômes et l’annonce du diagnostic. Le sentiment d’abandon qu’ils éprouvent trop souvent encore conduit parfois à des situations dramatiques de précarisation, voire des cas tragiques de rupture, voire de maltraitance.
Parce qu’elles mettent en jeu, au-delà d’un savoir médical et technique, la capacité d’une société à maintenir et à adapter les solidarités concrètes entre citoyens, ces maladies représentent donc un enjeu significatif en termes de santé publique et de vie démocratique. Il apparaît dès lors urgent de faire émerger la cohérence d’une mobilisation adaptée. Elle ne saurait également négliger la cause des pays émergents eux-mêmes confrontés à la montée en puissance de ces maladies1.
Au-delà de l’urgence d’attribuer à la recherche biomédicale ainsi qu’aux dispositifs sanitaires et sociaux les moyens nécessaires à des avancées et à des adaptations nécessaires, il convient, en partenariat avec les associations et les différents acteurs concernés, de s’investir dans une dynamique de sensibilisation effective de la société. Il nous faut être ensemble, inventifs d’une approche politique digne et courageuse, là où nos mentalités, nos représentations et nos quelques certitudes sont profondément interrogées.

1 Une prévalence de +/- 50 % de cas est constatée dans la population de certains pays démunis de systèmes de santé efficients.