Servir nos aînés et leurs aidants

Publié le : 16 Novembre 2005

Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique n°15-16-17-18, 2002.Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.

 

La liberté de vivre sa vulnérabilité

Je voudrais reprendre brièvement deux points sur lesquels l’organisation des solidarités va permettre la fluidité des mécanismes de prise en charge et la réversibilité de toute décision de prise en charge.
Quand je parle de réversibilité, cela me paraît un critère essentiel pour éviter « l’enfermement ». Quand je parle de réversibilité, je parle de la nécessité de proposer, en tout lieu, l’ensemble des maillons de la chaîne d’aide dont nous savons qu’ils sont importants et que nous savons par ailleurs mettre en place : l’accueil de jour, l’accueil de nuit, le dispositif d’urgence en gériatrie, l’hébergement temporaire, le centre expert, les services sociaux et médico-sociaux, tant en institution qu’en maintien à domicile.
C’est à ce seul prix, au prix de l’existence de tous ces services dans chaque secteur géographique, que nous pourrons proposer aux familles et aux malades la liberté du choix, la liberté d’entrer dans l’une ou l’autre de ces structures et d’en ressortir ; la liberté de vivre sa vulnérabilité, non pas comme on peut vivre une mesure de tutelle définitive mais comme une vraie vulnérabilité dont on peut sortir et dans laquelle on peut entrer à nouveau. J’insiste sur ces solidarités, sur leur nécessité. J’insiste aussi pour qu’on cesse de maltraiter les familles et les aidants.

 

Vers un nouveau contrat de société

En effet, le risque de ces maltraitances est considérable, mutligénérationnel. Des enfants aidants maltraités, se sentant déjà coupables d’avoir un parent atteint de la maladie d’Alzheimer, engagent — et nous le voyons au quotidien — des troubles de la parentalité en direction de leurs propres enfants. Ils sont enfants coupables, ils deviennent parents coupables. Ils deviennent, au niveau de leurs propres enfants, des parents qui oublient leurs propres parents, des parents qui les excluent, courant le risque d’induire au niveau multigénérationnel une répétition de l’exclusion.
De la même façon, ces familles se retrouvent de plus en plus seules car elles n’ont plus les moyens parfois, du fait de leur contribution à la quatrième et à la cinquième génération, de maintenir le niveau de vie et de réseau social de leurs propres enfants, voire de leurs petits-enfants. Se posent là, en plus des troubles de la parentalité, des problèmes éminemment graves de grand-parentalité, quand on sait le rôle, aujourd’hui, des grands-parents dans l’éducation des enfants.

J’insiste sur ce point de la même façon que sur l’aide à apporter aux aidants professionnels. Il n’est pas pensable de dire aujourd’hui « il faut que les familles puissent avoir un sas pour se reposer, un peu d’hébergement temporaire, la possibilité de séjours vacances-loisirs pour leur personne âgée dépendante, de l’aide pendant un week-end », sans penser la même chose en direction des aidants professionnels. Il n’est pas possible d’imaginer autrement une fonction d’aide-soignant, d’infirmier ou de médecin en centre hospitalier gérontologique ou en structure, si on n’aménage pas ces sas qui représentent une véritable reconnaissance, pas seulement de la difficulté des soins mais surtout de l’intensité des soins à prodiguer aux personnes âgées vulnérables à un moment donné.
Cette reconnaissance, y compris statutaire de travaux difficiles, de ces sas nécessaires à aménager, pour les aidants professionnels comme pour les familles, est essentielle si on veut établir auprès des vieillards vulnérables un climat de respect, de dignité dans le soin, en un mot de citoyenneté.

Le Nord et le Sud de la France ne sont pas égaux. Il est par exemple beaucoup plus difficile de recruter des infirmiers ou des aides-soignants chez nous, dans le Nord-Est, dans nos petites villes, quitte à voir fermer des établissements. Nous sommes confrontés aujourd’hui au risque réel de fermeture d’établissements et de services, ou d’une moindre qualité du service apporté aux personnes vulnérables et fragiles. Il y a là un véritable défi qui concerne notre société.

Je crois que l’Alzheimer apporte des clefs pour l’élaboration d’un nouveau contrat de société, d’un contrat adapté, éthique, qui engage l’ensemble des générations et prépare l’avenir d’un pays.
Mon expérience, aujourd’hui, témoigne de nouvelles pratiques possibles qui participent à l’écriture de l’histoire de la gérontologie moderne et humaine. Car nous savons bien que le vrai service est celui que nous devons à nos aînés mais aussi à leurs aidants.