« On va encore me parler de ça… »
"Comment laisser une liberté dans les contraintes du soin, laisser une autonomie à un sujet en perte d’autonomie? Un élément de réponse est sans doute dans le respect de sa parole et la clarification avec lui, des enjeux suscités par la maladie. De réfléchir avec le sujet. De parler, comme on le dit très justement, avec lui de sa maladie et non pas de lui parler de sa maladie. S’impose alors, de clarifier de quelle maladie il s’agit, de ne pas éviter d’utiliser le terme de la maladie d’Alzheimer."
Publié le : 28 Juillet 2014
À propos de l’alliance thérapeutique lors de la mise en place du plan de soin initial à la suite d’une annonce de diagnostic de maladie d’Alzheimer
Agnès Michon, Yasmina Belmekki, Sarah Boucault, Sophie Ferrieux, Martine Galipaud, Cyrielle Guy
Institut de la Mémoire et de la maladie d’Alzheimer, Département de Neurologie, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, AP-HP
Agnès Michon
Neurologue, praticien Hospitalier
Yasmina Belmekki
Assistante sociale
Sarah Boucault
Psychologue
Sophie Ferrieux
Orthophoniste
Martine Galipaud
Infirmière référente ETP
Cyrielle Guy
Coordonnatrice réseau
Mme M arrive très angoissée pour sa rencontre avec l’équipe pluridisciplinaire organisée dans le cadre de la facilitation à la mise en place d’un plan de soin initial à la suite de l’annonce d’une maladie d’Alzheimer. « On va encore me parler de ça » dit-elle à l’infirmière qui l’accueille. Elle ne nomme pas la maladie explicitement lors de ce premier contact, mais donne à croire qu’elle connait son diagnostic. Mme M fait allusion à un groupe de blouses blanches qui a parlé de « ça » devant elle. « J’ai tout entendu, je me suis sentie piégée, jugée, je ne me supporte plus avec cette maladie.»
La question est donc, en équipe pluridisciplinaire, d’approcher le savoir subjectif, le savoir-éprouvé, pour accompagner au mieux Mme M, lui permettre de vivre autrement sa situation si insupportable : l’image d’elle-même, l’image de son devenir (« j’ai vu ça chez les autres »), l’image de son statut de malade et du monde des soins (« je déteste les blouses blanches, j’ai travaillé dans ce milieu, je sais ce que c’est »), l’image de sa dépendance (« je n’ai plus de contrôle, mon amie décide à ma place, je sais que c’est nécessaire, mais je le subis »).
Il est donc très important d’écouter ce vécu subjectif de Mme M, de lui signifier par cette écoute qu’elle a bien toute sa place, que c’est bien elle le centre de nos préoccupations, et qu’elle peut être acteur de son histoire et non pas dépossédée comme elle le ressent si justement. Il est particulièrement important, face à cette colère et ce désespoir exprimé, de ne pas imposer nos solutions. Et pourtant, n’est-ce pas là notre objectif, lui faire accepter un programme de soins même si ce programme est établi avec elle ? La situation est assez critique pour que des mesures s’imposent.
Alors comment laisser une liberté dans les contraintes du soin, laisser une autonomie à un sujet en perte d’autonomie? Un élément de réponse est sans doute dans le respect de sa parole et la clarification avec lui, des enjeux suscités par la maladie. De réfléchir avec le sujet. De parler, comme on le dit très justement, avec lui de sa maladie et non pas de lui parler de sa maladie. S’impose alors, de clarifier de quelle maladie il s’agit, de ne pas éviter d’utiliser le terme de la maladie d’Alzheimer. La propre peur de Mme M, sa révulsion face à l’image de la maladie d’Alzheimer provoquent chez nous, soignants, une crainte à utiliser le mot fatidique. Le risque est, en conséquence, de cautionner cette peur, que notre propre peur face écho à la sienne et que par là même, nous ne soyons plus contenants pour son angoisse.
Mais parler d’emblée de la maladie aurait été catastrophique, des étapes successives s’avèrent nécessaires et en premier lieu d’écouter son « savoir-éprouvé », de parler des répercussions dans le quotidien, de cette perte d’autonomie et des réponses possibles. De lui permettre de garder le contrôle. La question n’est pas d’arriver à faire accepter l’aide mais face à une aide inéluctable imposée par la maladie, d’accompagner le sujet. « Je n’ai pas le choix, je dois me faire aider » mais j’ai le choix de dire à qui je délègue certaines décisions, par qui et comment je souhaite me faire aider à l’avenir. Comment travailler en pluridisciplinaritéc? L’enjeu au niveau des différents intervenants est non seulement de se transmettre des éléments d’information mais surtout de se faire confiance pour parvenir à ce que chacun tisse un lien qui prenne sens pour Mme M et pour nous, un lien contenant son angoisse et lui permettant de la déposer pour pouvoir entendre, au-delà du nom de la maladie, le projet de soin proposé. Pouvoir comprendre que l’enjeu c’était elle-même en tant que sujet, et non plus la maladie.
Chacun a dialogué avec Mme M, avec ses outils professionnels, avec ce que sa profession représentait pour Mme M (et pour lui-même), avec son individualité. Comment établir un lien de confiance avec Mme M sachant que l’équipe n’est pas celle engagée dans le suivi? L’équipe peut-elle être porteuse d’un projet de soin, d’un contenant soignant, d’une base étayante et solide, à partir de laquelle la construction d’un lien avec les soignants référents devrait pouvoir se faire à l’intérieur ou hors de l’institution ? À nous aussi, de pouvoir faire confiance aux compétences de cette femme, riche d’une expérience de vie, à nous aussi de savoir nous ouvrir à ce qu’elle peut nous apprendre sur cette négociation avec la maladie.
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