L’Avis n° 126 du CCNE sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation
Dès la rentrée 2017, le site de l’Espace éthique proposera un dossier très complet d’archives et de réflexions plus actuelles qui permettront d’éclaire le débat relatif à la révision de la loi relative à la bioéthique en 2018. L’Espace éthique proposera également un cycle de débats publics thématiques dans le cadre des missions qui lui sont fixées.
Publié le : 26 Juillet 2017
AMP : changer de paradigme ?
La loi relative à la bioéthique prévoyant son propre réexamen tous les sept ans, la prochaine révision de la loi du 7 juillet 2011 devrait intervenir dans le courant de l’année 2018.
L’avis n° 126 du Comité consultatif national d’éthique, en date du 15 juillet dernier, constitue l’un des premiers travaux préparatoires de cette révision. Cet avis était particulièrement attendu en ce qu’il s’intéresse à l’un des secteurs les plus polémiques et aussi les mieux connus par le grand public du champ de la biomédecine, à savoir l’assistance médicale à la procréation (AMP). Lors des débats parlementaires qui ont précédé le vote de la loi de 2011, les interrogations et les attentes liées à ce domaine ont donné lieu aux plus vifs débats et la recherche d’un consensus s’est avérée particulièrement délicate entre les « pour» et les « contre » : pour ou contre la levée de l’anonymat du don de gamètes, pour ou contre la procréation post-mortem, pour ou contre l’ouverture des technique de procréation assistée aux couples de femme ou aux femmes seules, pour ou contre la gestation pour autrui…
Dans son dernier avis, le CCNE traite trois questions qui, depuis quelques années, font l’objet d’une demande sociétale de plus en plus vive : la possibilité d’autoconservation ovocytaire chez les femmes jeunes, les demandes d’AMP par des couples de femmes ou des femmes seules et les demandes de gestation pour autrui (GPA).
Ces trois questions peuvent être comprises comme autant de déclinaisons d’une autre, plus globale, qui est de savoir si l’AMP doit changer de paradigme. Ce secteur de la biomédecine, actuellement conçu par le code de la santé publique comme un ensemble de techniques destinées à répondre à la demande d’un couple qu’une pathologie médicalement constatée empêche de procréer naturellement, doit-il commencer de répondre aux demandes sociétales d’accès à ces techniques à d’autres fins que celles du traitement de l’infertilité dû à une pathologie ? Ce questionnement n’est pas nouveau et l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, dans sa mouture issue de la loi de 2011, représente la réponse du législateur de l’époque : « Elle (l’AMP) a pour objet de remédier à l'infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité ».
Mais durant ces dernières années, le paysage scientifique, juridico-familial et international a connu des évolutions au regard desquels la loi de 2011 peut apparaître dépassée ou, tout au moins, nécessitant d’être repensée sous ces éclairages nouveaux. Tel a été l’objectif du groupe de travail du CCNE.
Ce dernier s’est tout d’abord attaché à l’élaboration d’une méthode d’analyse spécifique aux particularités des sujets abordés, « dans l’intention de proposer des repères et des critères généraux pour éclairer la réflexion éthique », au-delà des convictions spontanées, des positons de principe et des valeurs personnelles. Cette méthode consiste à fonder l’analyse sur trois points constitutifs de repères à la réflexion. Il s’agit, primo, du constat des disjonctions que génèrent les techniques d’AMP entre la procréation – fait strictement biologique – et la filiation – notion éminemment juridique – ; secundo des relations entre les différents acteurs de l’AMP, c’est–à-dire entre les fournisseurs de ressources biologiques (les donneurs et les donneuses de gamètes ou d’embryons) et les receveurs, les enfants nés de ces techniques, les intervenants du corps médical et la société dans son ensemble. Puis, tertio, des conséquences de ces interactions nouvelles tant au regard de leurs bénéfices que de leurs risques. De ces étapes émergent certaines questions qui, parce qu’elle cristallisent les points de désaccord, sont désignées dans l’avis comme les « points de butée ». C’est sur ces derniers que porte essentiellement l’étude, car « Il importe de les énoncer et les expliciter pour eux-mêmes parce qu’ils risquent de bloquer la réflexion, quelle que soit la réponse que l’on veut apporter à la demande sociétale d’assistance médicale à la procréation ».
La première des questions abordées se rapporte à la proposition d’une autoconservation ovocytaire chez les jeunes femmes
L’autoconservation des ovocytes est autorisée en France depuis la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique (art. L. 2141-1, alinéa 4, CSP) exclusivement en cas soit de pathologie ou de traitements risquant d’affecter la fertilité (art. L. 2141-11 CSP), soit en contrepartie d’un don anonyme et gratuit par des donneurs n’ayant pas encore procréé pour eux-mêmes (art. L. 1244-2, al. 3 CSP).
Or, les progrès de la sciences, plus précisément la mise au point de la vitrification, technique de congélation ultra rapide permettant des taux de survie après décongélation sensiblement plus satisfaisants que ceux obtenus par le procédé plus ancien de décongélation lente, pose la question de l’ouverture de cette technique à l’ensemble des femmes qui le souhaiteraient. De fait, une telle possibilité permettrait aux femmes de retarder le moment de la procréation sans craindre les exigences de l’horloge biologique. L’Académie de médecine, dans un rapport du 13 juin 2017, s’est prononcée en faveur de l’utilisation de cette technique comme moyen de prévention de l’infertilité liée à l’âge, rejoignant la position du Collège national des gynécologues obstétriciens français (http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2017/06/La-conservation-des-ovocytes-version-15-juin-2017.pdf).
Le CCNE, dans le chapitre consacré à cette question, en recense les avantages et les inconvénients. Si les premiers consistent essentiellement dans une nouvelle étape de l’autonomie des femmes dans le domaine de la procréation, les seconds relèvent de la faiblesse du bénéfice escompté au regard de la lourdeur médicale, mais aussi financière du protocole de prélèvement. À ce dernier propos, il conviendrait, le cas échéant, de s’interroger sur l’éventuelle prise en charge du coût d’une telle extension de l’autoconservation par la solidarité nationale, ainsi que sur le devenir des ovocytes non utilisés. De plus, le caractère incertain des résultats de l’AMP ne permet aucune certitude de grossesse.
D’une façon plus générale, on peut craindre que le recours à cette technique ne vienne pallier les carences de la politique en matière de recherche de moyens permettant aux femmes de procréer naturellement lorsqu’elles sont en mesure de le faire, « sans considérer comme inéluctable d’avoir à différer l’âge de la maternité ».
Ainsi l’avis, fort de ces constats, conclut à la majorité des membres du groupe de travail que l’extension de la proposition d’autoconservation à toutes les femmes jeunes « paraît difficile à défendre ».
La seconde question a trait à l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes ou aux femmes seules
La loi du 13 mars 2013, en ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, a consacré la famille homoparentale. L’article 6-1 du code civil, créé par la loi de 2013, dispose que « Le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l'exclusion de ceux prévus au titre VII du livre Ier du présent code, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe ». Partant, le contexte sociétal de cette demande, souvent exprimée sous forme de revendication, se trouve sensiblement modifié. Le 18 octobre 2016, une proposition de loi s’inscrivant dans la continuité de la loi de 2013 prévoyait de permettre l’accès à l’AMP aux couples de femmes (https://www.senat.fr/leg/ppl16-043.html).
L’avis traite dans un même chapitre les deux situations des couples de femmes et des femmes célibataires dans la mesure où, d’un point de vue médical, les deux demandes nécessitent le recours à l’AMP avec tiers donneur, mais il distingue les deux situations d’un point de vue socio-familial : « À cet égard, le point de butée porte sur les conséquences pour l’enfant de la présence d’un seul parent, ainsi que d’une seule généalogie familiale. » Cependant, à divers endroits de l’analyse, se trouve constatée l’absence d’études fiables quant au développement des enfants nés dans ces types de familles.
Le Comité, estimant que la souffrance générée par « l’infécondité secondaire à des orientations sexuelles » doit être prise en compte, fait valoir l’absence de violence et l’évolution des modèles familiaux, plus précisément la relation de l’enfant à son environnement familial. Mais aussi, il relève divers points de butée qui s’inscrivent dans différentes approches. Du point de vue de l’intérêt de l’enfant, se pose la question de l’institutionnalisation de l’absence de père et de l’unicité du lignage dans les familles monoparentales. Du point de vue de la protection de la société, l’insuffisance des dons risquerait de conduire à la création d’un marché parallèle sauvage, lequel échapperait à tout dispositif légal.
La conclusion du Comité, bien que favorable à permettre l’accès de l’AMP tant aux couples de femmes qu’aux femmes célibataires, reste prudente et cette prudence ressort des termes mêmes employés dans la recommandation. Celle-ci conclut que l’étude a conduit « une majorité des membres du CCNE à ne formuler aucune opposition à l’ouverture de l’IAD à toutes les femmes
», puis formule immédiatement une réserve débutant par une conjonction de coordination explicite : « mais à demander que soient définies des conditions d’accès et de faisabilité », la faisabilité incluant la question de la prise en charge de ces demandes par la solidarité nationale.
Il apparaît regrettable que la majorité des membres du Comité admettent l’extension de l’IAD hors du domaine thérapeutique sans se prononcer sur le principe d’anonymat du don de gamètes, qui constitue l’un des points les plus discutés et vivement contestés de l’entier domaine de la biomédecine. Ceci d’autant plus que certaines des justifications avancées pour justifier le principe de l’anonymat, telles la protection de la famille et, en cas de don de sperme, la possibilité pour le père d’intégrer son rôle auprès de l’enfant, ne peuvent valoir pour les familles fondées par un couple de femmes ou pour les familles homoparentales. Toutefois, certains développements de l’avis, relatifs à la nécessité de transparence des origines dans le domaine de la GPA, laissent penser que le Comité a acté l’évolution tant des esprits que de la jurisprudence européenne sur ce sujet et que son avis sur la question pourrait être différent de celui formulé en 2005 (avis n° 90, Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation).
La troisième question est celle de l’éventuelle légalisation de la GPA
Sur ce sujet, le CCNE s’est déjà exprimé en 2010 (Avis n° 110, « Problèmes éthiques soulevés par la gestation pour autrui »).
L’avis, rendu à l’unanimité sur cette question, met l’accent sur les « violences » trop fréquemment liées à la GPA. Les violences dénoncées sont tout d’abord d’ordre économique dans la mesure où la GPA prend le plus souvent la forme de contrats organisés par des sociétés commerciales dont l’objet, qui est précisément la conception et la naissance d’un enfant, ne peut être que déclaré illicite en droit français. Elles sont ensuite d’ordre juridique dans la mesure où le consentement des « mères porteuses » dans certains pays pauvres n’est pas nécessairement libre. Elles sont également d’ordre médical dans la mesure où la plupart des pays qui pratiquent la GPA contreviennent aux bonnes pratiques médicales. Ces violences, recensées et explicitées, résument les risques physiques et psychiques de cette technique tant pour les femmes candidates à la gestation que pour les enfants à naitre de cette technique.
Les exemples cités à l’appui des développements sont le plus souvent ceux des pays pauvres, où la GPA se pratique selon des conditions que ses défendeurs eux-mêmes dénoncent comme inadmissibles. Aussi, sans surprise, le CCNE se prononce à l’unanimité pour le maintien et le renforcement de la prohibition. Afin d’endiguer l’expansion des « contrats de GPA » conclus à l’étranger, il recommande l’engagement de négociation internationales et multilatérales dans le but de l’élaboration d’une convention internationale, ainsi que des mesures d’identifications génétiques destinées à éviter le trafic d’enfants sous couvert de GPA.
À propos de la transcription de l’état civil des enfants nés à l’étranger d’une GPA, le Comité se prononce pour qu’une délégation d’autorité parentale soit accordée au parent d’intention lorsque l’état civil dressé à l’étranger établit une filiation biologique avec l’un au moins des parents français. Sur ce point, il se situe en deçà de la Cour de cassation qui, le 5 juillet 2017, a admis, pour un enfant né d’un GPA réalisée à l’étranger, la transcription partielle de l’acte d’état civil dressé dans le pays de naissance au bénéfice du père biologique et reconnu possible l’adoption simple par le conjoint du père biologique de l’enfant Civ. 1re, 5 juillet 2015, n ° 15-28.597, 16-16.901 et 16-50.025, n° 16-16.455, n° 16-16.495).
Dans le dernier chapitre de son avis, le Comité identifie plusieurs questions de fond qu’il désigne comme autant de points de butée
Elles ont trait à la confrontation entre l’intime et le collectif, les désirs individuels d’autonomie se trouvant confrontés à la protection de la société toute entière par le collectif ; à la fragilité de la frontière entre le pathologique et la sociétal, qui conduit à s’interroger sur le rôle de la médecine ; à la responsabilité de la société vis-à-vis ces enfant qui naîtront de ces techniques ; à la disponibilité des ressources biologiques et aux risques générés par l’insuffisance des ressources. Enfin, le Comité conclut par le constat d’un domaine en mutation et la nécessité d’une participation citoyenne préalable au débat législatif, dont elle devra être une donnée.
Dans ce dossier