Témoignage d'un homme atteint de sclérose latérale amyotrophique, qui aborde la maladie elle-même, son expérience de celle-ci et de sa progression irréversible.
Publié le : 26 Septembre 2008
Agé de 63 ans, marié, père d’une fille et grand-père d’un petit-fils de quatre ans, je suis atteint de la sclérose latérale amyotrophique (SLA) diagnostiquée en janvier 2003. Me voilà sans jambes ni bras mais j’ai encore le bonheur de parler et de communiquer. La SLA est aussi appelée en France « maladie de Charcot ». Cette appellation est objet de confusions, Charcot ayant décrit et donné son nom à plusieurs maladies neurologiques. Il vaut donc mieux conserver le sigle : SLA.
La SLA est une grave affection qui se caractérise par une dégénérescence systématisée des cellules nerveuses qui commandent les muscles volontaires ou motoneurones. Elle est toujours évolutive sans pouvoir prédire les territoires prochainement touchés et la vitesse d’évolution.
Je suis atteint de la forme à début périphérique, encore appelée spinale (2/3 des cas) : dans mon cas, ce sont mes membres inférieurs, puis supérieurs qui ont été touchés. En 1997, ma mère a été atteinte d’une forme à début bulbaire (1/3 des cas) se situant au niveau du bulbe et du tronc cérébral. Ce sont, chez elle, des troubles de la déglutition et de la parole qui sont apparus. Ces 2 formes peuvent se succéder ou se développer simultanément. Ses facultés intellectuelles sont restées intactes jusqu’au bout. Cette affection est mortelle, ma mère est décédée en 2000.
Les causes de la maladie sont inconnues à ce jour. On sait que les grands sportifs et les hyperactifs sont plus volontiers touchés. Maintes causes ont été évoquées. Par rétrospection, pendant des mois et des mois, je me plaignais de crampes fréquentes, de grande fatigue comme si je marchais constamment dans l’eau. Il m’est arrivé souvent de tomber en franchissant un trottoir malgré l’ordre conscient émis par mon cerveau sans réponse de mes jambes. Ma maladie sévissait depuis longtemps. Comment en déterminer la cause ?
Mon généraliste attribuait ces symptômes au fait que mon épouse a contracté un cancer en 2000, heureusement enrayé en 2002. Sous les conseils d’amis, j’ai consulté un neurologue qui, le 3 janvier 2003, m’a confirmé que j’étais atteint de la SLA après un électromyogramme, vérifiant la réponse nerveuse après stimulation, ainsi qu’un IRM, conforté par le caractère évolutif de ma maladie. L’image de ma mère m’est apparue instantanément. Le lendemain, j’ai arrêté toute activité professionnelle pour changer de vie.
Parmi la multiplicité des critères médicaux, psychologiques, sociaux, aucun des patients atteints de la SLA ne peut s’identifier à l’autre. C’est par cet isolement dans mon quotidien que j’ai compris que ma maladie sera, avant tout, une terrible aventure commune avec tous ceux qui me sont chers, ceux qui me soignent et aussi avec tous les sujets de la société.
Ma grande douleur est mon impuissance de ne pouvoir protéger ceux que j’aime des effets de cette grande injustice. Ma sensibilité, harcelée par le doute de chaque instant, a pris conscience de la modalité finale de ma vie quelle que soit l’évolution de ma maladie. Cette maladie avec ses exigences permanentes m’appartient et j’en suis le contour : « La SLA, maladie rare, orpheline encore incurable est la plus fréquente des maladies neurodégénératives après la maladie d’Alzheimer. Elle touche chaque jour 4 nouvelles personnes, 5 000 malades sont dénombrés en France. » Voilà une définition qui est gravée au fond de moi comme un défi. Nous sommes « en froid », mon corps et moi, avec sa façon d’afficher sa maladie pour attirer la compassion et la pitié. Je ne cesse de lui demander un peu plus de dignité. Avec cette façon de vouloir faire l’important qu’il m’impose, je lui réponds par le mépris en lui envoyant une batterie de gens expérimentés pour s’occuper de lui.
Il me reste qu’une seule certitude : je suis condamné à vivre intensément dans les limites physiques de mon enveloppe avec pour référence ces quelques mots : « En excluant la mort de sa vie, on ne vit pas à plein, et en accueillant la mort au cœur de la vie, on s’élargit, et on enrichit sa vie » (Etty Hillesum).
Il est nécessaire de s’adapter en permanence aux besoins qui évoluent, parfois vite. Ceci est un des aspects extrêmement pénibles de la maladie, qui entraîne pour mon entourage découragement, fatigue, dépression et sentiment d’être submergé par la multitude de problèmes administratifs ou d’aménagement de l’habitat.
L'Association pour la Recherche sur la Sclérose latérale amyotrophique et autres maladies du motoneurone (ARS) m’a aidé par son écoute, le prêt de matériel et ses conseils. L’Association, grâce à des réunions, m’a permis d’aller vers l’autre et de participer à la cohésion des adhérents par l’identification et la reconnaissance du malade en tant que citoyen.
Comment ne pas adhérer à un défi tel que garantir un réel accès aux droits fondamentaux à toutes les personnes en situation de handicap ? Et pourtant, combien de frustrations irrespectueuses nous subissons, qu’elles soient exprimées par de la pitié, des regards, des non-dits, ou simplement l’accessibilité d’un lieu… Que d’énergie à développer pour que cette notion de dignité envers tous les citoyens soit acceptée. Au sein de cette association, le sens de ma vie me semble tracé car la vie est, avant tout, concrète par ses actes assumés et partagés qu’ils soient physiques ou verbaux.
L’Association est un élan pour construire un lien fort afin que soit le plus heureux possible le meilleur de l’existence des malades. Elle s’occupe non pas du soin car il y a les spécialistes pour cela, mais du « prendre soin ». Quand on m’offre une rose son parfum m’envahit. Ses formes, sa couleur, sont pour moi des réalités. Il m’est facile d’envisager le soyeux de ses pétales grâce à mon vécu. La main amie qui, comme le prolongement de mes pensées, favorise le toucher de cette fleur et devient l’aboutissement renouvelé de mon corps. Cette main est sympathique car elle modifie son comportement pour le plaisir de l’autre. Elle prolonge ma réalité et nourrit mon vécu dans le respect de chacun. Vivre c’est donner, transmettre et recevoir comme un apprentissage permanent. Vivre, c’est avant tout croire que la mort est mon amie comme un missionnaire d’amour et de dignité pour que ceux qui me sont chers puissent mieux vivre, enfin, sereinement.
Ma maladie est un phénomène évolutif, irréversible et dégénératif comme si, dans la vie, à partir d’un certain âge, ce processus n’était pas naturel. Actuellement, 50 % des personnes atteintes vivent moins de trois ans après le diagnostic, environ 20 % vivent cinq ans ou plus et plus de 10 % survivent plus de dix ans. La problématique simple et inexorable qu’il nous faut résoudre ensemble, malades, accompagnants et soignants, est le trop long moment d’identification (pouvant aller jusqu’à des années) de la SLA car les médecins généralistes mal formés se trouvent souvent démunis et que seuls les neurologues spécialisés sont formés pour la diagnostiquer. De même, le moment toujours de l’acceptation du malade de la pathologie et de sa prise en charge par les institutions telles que les MDPH est trop long lui aussi. Il est temps de retrouver une lueur d’espoir pour donner un sens à notre nouvelle existence.
Les mois perdus ont d’autant plus d’importance qu’ils font partie des meilleures phases de la maladie. Après cette prise en charge - qui doit être la plus courte possible - le moment est venu de partager avec tous les accompagnants (famille et médecins) et avec dignité ma fin de vie d’homme communiquant. Mon existence m’apprend à désapprendre pour évoluer vers cette forme « fœtale » où la communication n’est plus possible. Comment peut-on parler de dignité alors que l’essence même de l’humain est la communication ? : « La notion de dignité humaine signifie que tout homme mérite un respect inconditionnel, quel que soit l'âge, le sexe, la santé physique ou mentale, la religion, la condition sociale ou l'origine ethnique de l'individu en question » (Paul Ricœur).
Le temps de la communication est pour moi ce rapport enrichissant avec l’autre qui engendre spontanément du respect, de la liberté et une ouverture d'esprit. J’ai encore ces longs moments de bonheur où l’espoir réside car je peux encore partager grâce à tous les moyens d’expression possibles. Puis, sans parole ou moyen d’expression, sans pouvoir d’agir et malgré tout désirer, habité d’un monde de représentations lointaines, pour redevenir soumis à l’immédiateté des fonctions de la survie : boire, manger, dormir en vidant mon monde d’humanité.
Je suis un condamné à vivre intensément avec ma liberté intérieure et aussi l’acharnement des chercheurs qui reste un espoir pour mes enfants. Dans cette enveloppe paralysante, je voudrais pénétrer le sens de la vie afin de le clamer et ne plus se donner de peine pour ce qui ne contribue pas à la vie : « La liberté intérieure permet de savourer la simplicité limpide du moment présent, libre du passé et affranchi du futur. C’est avant tout prendre sa vie en main » (Matthieu Ricard).
L'ARS est porteuse, par son action pour la recherche, d’un espoir afin que mon petit-fils ait le bonheur de pouvoir courir avec son petit-fils ou sa petite-fille. Il y a des jours où je suis comme une chaussette qu’on a retroussée machinalement pour être rangée dans l’armoire. J’ai le cœur dehors et le corps en dedans. Pendant ces jours, le sens de ma vie est régi par des valeurs de cœur, d’humanité. Cet amour vers les autres m’enveloppe et me protège de ce corps miné par la maladie. Malgré cette sensibilité à vif, je me sens plus fort. La sérénité s’installe dans mon esprit. Ces instants sont des pas sur le chemin de ma vie, moi l’Immobile.