Intervention donnée dans le cadre du coloque « Les droits de l’Homme au défi des nouveaux territoires de la bioéthique » organisé le 12 décembre à l'Assemblée nationale.
Publié le : 20 Décembre 2018
La recherche sur le cerveau constitue l’une des priorités de la santé publique.
Elle présente des innovations technologiques sans précédent.
Elle est encadrée par des textes français, européens et internationaux et le Comité consultatif national d’éthique s’y intéresse (notamment) dans un avis n° 129.
Il reste cependant des zones d’incertitudes qui peuvent conduire à des précautions fausses ou inutiles.
La pensée profonde d’un sujet de droit – que celui-ci soit ou non vulnérable – reste à ce jour inatteignable.
1. La recherche sur le cerveau
- que les maladies du cerveau et de la moelle épinière touchent une personne sur huit[1],
- que les troubles psychiatriques sont la première cause d’invalidité en France[2],
- que près d’un milliard de personnes dans le monde sont touchées par des troubles neurologiques (maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson, myopathie, sclérose latérale amyotrophique…)[3].
La recherche sur le cerveau demeure par conséquent l’une des priorités de la santé publique en France mais également en Europe et dans le monde.
2. L’individu ou le groupe vulnérables
Pour ce qui concerne l’innovation technologique qui comprend les innovations de produit et les innovations de procédé[5] et plus encore les innovations technologiques relatives à la recherche sur le cerveau, il sera ici plus exactement question de s’attacher à l’IRMf et à la neuro-amélioration.
Pour ce qui concerne l’individu ou le groupe vulnérables (il est ici délibérément mis de côté le terme « particulièrement ») et plus encore la recherche sur le cerveau, il sera ici plus exactement question de personnes atteintes d’une fragilité matérielle ou morale.
Il peut s’agir de personnes malades ou non, de personnes isolées ou exclues… de groupes malades ou non, de groupes fragilisés par un environnement naturel ou professionnel…
Les sujets fragiles sont ainsi (et notamment) :
- les femmes enceintes, les parturientes et les mères qui allaitent (article L.1121-5 du Code de la santé publique),
- les personnes privées de liberté par décision judiciaire ou administrative (article L. 1121-6 du Code de la santé publique),
- les mineurs (article L. 1121-7 du Code de la santé publique),
- les personnes majeures faisant l’objet d’une mesure de protection légale ou hors d’état d’exprimer leur consentement (article L. 1121-8 du Code de la santé publique).
A. Les textes
- la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme de l’UNESCO[6],
- le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui en son article 7 affirme que :
« Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique »[7].
S’agissant des textes européens, il convient de (notamment) citer :
- la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine[8],
- la directive 2001/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'application de bonnes pratiques cliniques dans la conduite d'essais cliniques de médicaments à usage humain[9].
S’agissant des textes français, il convient de (notamment) citer :
- la loi n° 2012-300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine[10],
- l’ordonnance n° 2016-800 du 16 juin 2016 relative aux recherches impliquant la personne humaine.
B. L’avis du Comité consultatif national d’éthique 129
Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a – dans le cadre de la révision de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique – présenté en septembre 2018 un avis 129[11].
Il est (notamment) écrit dans cet avis que :
« Le CCNE a tenté d’examiner, à travers quelques exemples, en quoi les neurosciences, renforcent ou altèrent le concept de dignité humaine, ainsi que les principes d’autonomie, de non-malfaisance et d’équité » [en examinant (notamment) l’Imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle et la neuro-amélioration] [12].
Il est en toute hypothèse question d’une neuro-éthique[13] dont les contours[14] se brouillent à la lumière des connaissances scientifiques récentes[15] comme la plasticité cérébrale ou l’épigénétique[16].
Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) considère que :
« Dans l'hypothèse de la fiabilité de ces techniques, l'enjeu est de déterminer jusqu'où faut-il permettre leur utilisation, en prenant en compte notamment des questions d'ordre politique, relatives au culte de la performance, aux spécificités des sociétés libérales, aux inégalités sociales, voire à la tentation du transhumanisme »[17].
L’individu ou le groupe vulnérables sont par conséquent (implicitement) pris en considération au sein de l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) 129.
Les inégalités sociales ne peuvent être l’occasion de dérives susceptibles de porter atteinte à l’intégrité physique ou l’intégrité cérébrale (ou l’intégrité mentale) des êtres humains devenus (en pareille hypothèse) fragiles.
A. L’intégrité scientifique
Pierre Corvol (professeur honoraire au Collège de France) a le 29 juin 2016 remis un rapport titré Bilan et propositions de mise en œuvre de la Charte nationale d’intégrité scientifique à Monsieur Thierry Mandon, Secrétaire d’État chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Il rappelle que des fraudes graves comme le plagiat restent rares. Il évoque en revanche une zone grise (plus importante) constituée de petits arrangements qui nuit à la science et plus simplement à la communauté scientifique.
L’intégrité scientifique signifie – outre ne pas plagier – ne pas s’adonner à des petits arrangements destinés à conforter ou renforcer la présentation des recherches scientifiques.
L’individu ou le groupe vulnérables sont particulièrement visés dans la mesure où ceux-ci ne possèdent pas (toujours) dans un contexte difficile les possibilités d’écarter (ou de faire fi) des petits arrangements scientifiques.
Certes, il existe plusieurs techniques d’exploration cérébrale comme :
- l’électroencéphalographie[19],
- la magnétoencéphalographie[20],
- l’imagerie cérébrale[21]…
Mais il existe également de nombreuses annonces – dans la presse, des ouvrages… – relatives au fait :
- que les routes de la conscience, celles du bonheur, celles de l’affection… sont découvertes ou comprises,
- que l’hypnose peut – dans le cadre d’opérations chirurgicales graves – remplacer des produits analgésiques,
- que la pupillométrie, la synergologie… peuvent déterminer les coupables d’une infraction…
Or ces informations restent approximatives et elles ne correspondent à aucun élément objectif. Elles peuvent être erronées ou fausses.
C’est pourquoi l’intégrité scientifique signifie apporter des informations les plus transparentes et les plus claires possibles à une population non scientifique et plus spécifiquement à une population composée d’individus ou de groupes vulnérables.
Mais que l’on ne s’y trompe pas non plus.
Un équilibre doit être dans ce domaine respecté. Le public ne peut (à l’inverse) se laisser aller à des espérances injustifiées.
Une équipe américaine a annoncé la création d’un mini-cerveau humain en laboratoire[22] et une équipe australienne a annoncé la création d’une cellule électronique imitant « le travail d’un cerveau humain lors du stockage de la mémoire à long terme »[23].
Pour autant, il ne s’agit pas là :
- d’une part, de la création d’un vrai cerveau capable de remplacer grâce à une transplantation (naturelle) notre propre cerveau éventuellement malade ou défaillant,
- d’autre part, de la création d’une cellule électronique capable de compenser grâce à une transplantation (se rapprochant des mécanismes du transhumanisme) notre propre cerveau éventuellement malade ou défaillant.
B. L’intégrité cérébrale
- sommes-nous devenus fragiles ou vulnérables lorsque nous acceptons l’idée d’un IRMf (qui voit tout) ou d’une neuro-amélioration (qui améliore tout) ?
1. L’IRMf
- la neuro-imagerie structurelle,
- la neuro-imagerie fonctionnelle.
Plus spécifiquement, la neuro-imagerie fonctionnelle (avec l’imagerie par résonance magnétique (IRMf)) consiste « à mesurer l’extraction d’oxygène sanguin par le tissu cérébral, qui voit augmenter l’afflux de sang oxygéné lorsqu’il augmente son activité »[24].
La neurologue Catherine Morin relève cependant que :
« La résolution temporelle de cette méthode est faible, puisqu’elle mesure des phénomènes vasculaires et non pas neuronaux »[25].
Elle rappelle que l’imagerie « n’est absolument pas la photographie ou le film du cerveau en action »[26]. Elle parle d’un cerveau moyen en tant qu’élément de référence[27].
Or il est aujourd’hui impossible – à partir d’un cerveau moyen tiré de l’imagerie cérébrale – de déceler une personnalité, un mensonge, une culpabilité… d’un sujet de droit[28].
2. La neuro-amélioration
L’utilisation des substances chimiques n’est pas récente et sa régulation répond aux exigences légales et jurisprudentielles classiques.
L’utilisation de dispositifs électroniques est en revanche plus novatrice. Elle prétend apporter un bien être ou soulager un mal être.
Parmi la neuro-amélioration électronique, il est possible de (notamment) citer :
- les interfaces cerveau-machine,
- la stimulation cérébrale profonde,
- la neuro-ingénierie…
Il reste :
- que l’interface cerveau-machine nécessite une amélioration de « la biocompatibilité et de l’intégration des implants dans le cerveau »[30],
- que la stimulation cérébrale profonde – utilisée dans les traitements de la maladie de Parkinson ou des tremblements – est l’occasion d’effets indésirables sévères comme des infections ou des troubles nerveux ou psychiatriques,
- que la neuro-ingénierie – qui peut être définie comme l’ensemble des pratiques destinées à améliorer les performances cognitives – ne peut atteindre la pensée profonde d’une personne, les rêves, les amours, les espérances, les regrets… de celle-ci...
Il est – semble-t-il – loin d’être acquis que ce type de dispositifs apporte une amélioration ou une quiétude au-delà d’un effet placebo. En revanche, il peut être craint des méfaits sur la santé à partir de l’utilisation de ce type de dispositifs.
S’agissant de l’aspect amélioration des capacités cognitives tirée des dispositifs électroniques cérébraux, il apparaît non seulement des grandes incertitudes mais encore des grandes réserves en ce qui concerne l’intérêt sociétal de la performance à tout vent.
Pour quelles raisons l’être humain devrait-il en faire artificiellement davantage de ce que lui offre la nature ?
Certes, les techniques permettent de répondre à cette question. Elles améliorent notre rapport au monde ou plus simplement notre compréhension du monde.
Mais la solution est tout autre lorsque ces techniques trouvent refuge ou se nichent à l’intérieur de notre corps.
Il est alors question de l’accueil d’un élément artificiel parmi des éléments naturels. Il est alors question d’un risque pour la santé ou l’intégrité physique d’un sujet de droit.
Les droits fondamentaux de celui-ci sont par suite remis en cause.
Ils le sont en raison :
- d’une part, d’un risque potentiel d’une atteinte à son intégrité physique,
- d’autre part, d’un risque potentiel d’une atteinte à sa vie privée (avec l’accumulation sur un serveur de données personnelles)[31],
- enfin, d’un risque potentiel d’une atteinte à une égalité avec d’autres sujets de droits tirée d’une distinction entre ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas accéder sur le plan financier à des technologies innovantes.
- « qui doit décider de l’amélioration d’un individu ou d’un groupe d’individus ? »[32],
- « peut-il s’agir de l’individu lui-même, de celui qui intervient techniquement dans l’opération d’amélioration ou plus avant de la société qui choisirait les heureux élus aux qualités de « surhommes » ? »[33].
Elle relève également que :
« L’amélioration conduit […] à des critères d’identité que l’on considère actuellement comme discriminatoires, car elle implique d’identifier les aspects les plus intimes de l’homme (ses fonctions cérébrales, son identité génétique notamment) pour ensuite intervenir sur ces aspects et les modifier »[34].
Il s’ensuit ce que Marie Lamarche appelle « une instabilité de l’identité à la fois personnelle et juridique »[35].
Si l’homme perd, estime-t-elle, son identité dans l’opération d’amélioration, « il peut aussi perdre sa liberté »[36].
La maîtrise mécanique d’un organe comme le bras ou la jambe peut emporter une perte de la maîtrise pour l’homme de son corps.
Mais il n’existe à l’heure actuelle aucune réelle maîtrise de la pensée profonde et par suite aucune réelle perte de la maîtrise par l’homme de son âme[37].
La perte de la maîtrise de son âme peut en toute hypothèse se situer dans d’autres temps ou dans d’autres espaces que la recherche sur le cerveau via les innovations technologiques.
Comme le souligne Alain Berthoz (professeur honoraire au Collège de France), cette perte peut se manifester dans les cas de haine[38].
Celui-ci affirme opportunément que :
« Comprendre les bases neurales de l’empathie représente un défi pour les sciences de la cognition. En effet, un des problèmes les plus graves que l’humanité doit considérer, comprendre et résoudre, est celui de la haine, ou de l’indifférence envers l’autre, celui de la souffrance infligée, celui du racisme »[39].
« L’empathie n’a pas de place là où a disparu la liberté de choisir son point de vue »[40].
Les innovations technologiques ne peuvent ici pas faire grand chose.
Certes, il existe une recherche scientifique relative à l’empathie artificielle.
Paul Dumouchel (professeur de philosophie à l’Université de Ritsumeikan de Kyoto) et Luisa Damiano (professeur de logique et de philosophie de la science à l’Université de Messine (Italie)) écrivent que :
« Les robots sociaux doivent donner à leurs partenaires humains « le sentiment », l’impression « suffisamment convaincante et durable ---- d’être en présence de quelqu’un »[41].
« La construction de robots « affectifs », « émotionnels » et « empathiques » est [d’ailleurs] aujourd’hui à la pointe de la recherche robotique sociale »[42].
Mais ces robots empathiques n’en restent pas moins des machines qui peuvent servir à « identifier les aspects les plus intimes de l’homme »[43].
Outre des critères purement physiques, la mise à disposition de prétendues améliorations des capacités cognitives sert à coder, distinguer, classer des individus ou des sujets de droit suffisamment fragiles pour croire qu’il est possible de pénétrer « la « Bastille » du mental » selon l’expression du professeur de philosophie Denis Forest (Département de philosophie de l’Université Paris Ouest Nanterre)[44].
Certes, comme le rappelle Maximilien Lanna (doctorant, Université Paris II Panthéon-Assas, CERSA), « quelles que soient les modalités d’hébergement, les données traitées font l’objet d’une protection particulière mise en place par le Code de la santé publique et la loi Informatique et Libertés »[45].
Mais si les informations partagées peuvent, poursuit-il, « être soumises à différentes législations en fonction de leur localisation, il devient difficile de déterminer à l’avance leurs lieux de stockage. Le degré de protection de ces données sera fonction de la loi applicable. Si la loi Informatique et Libertés ainsi que la directive 95/46/CE [ du 24 octobre 1995 ] auront vocation à s’appliquer, on peut être sûr que cette protection ne recevra pas la même uniformité dans d’autres États »[46].
Les droits fondamentaux tirés notamment de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme de l’UNESCO ne sont bousculés qu’au travers de critères purement matériels ou physiques et plus encore qu’au travers de critères purement mentaux (c’est-à-dire d’une façon artificielle) par la conviction erronée des sujets de droit qu’il est possible de comprendre et d’atteindre ce qu’ils pensent.
Des questions ne manquent alors pas de se poser :
- sommes-nous une nouvelle fois – à l’instar de la technique du clonage humain – tenté par l’inutile ?[47]
- comment pouvons-nous encore croire qu’il suffit de chercher pour trouver ?
La régulation des innovations technologiques et de la recherche sur le cerveau reste matérielle.
Dire autre chose pourrait consister à dire que notre imagination constitue tout à la fois une qualité et une vulnérabilité humaines.
Car le cerveau (via la pensée profonde) est encore le seul qui résiste à la mécanique.