Informer la personne atteinte par la maladie d'Alzheimer : quelques enjeux

L’information du malade d’Alzheimer ne peut pas se faire selon une approche dogmatique. Il faut essayer de trouver les clés d’une réflexion permettant de choisir la meilleure voie dans chaque situation rencontrée en tenant compte des réalités de terrain. Si l’horizon est celui de la vérité, le chemin à suivre peut s’en détourner lorsque la connaissance du malade et des enjeux met en évidence les dangers de l’annonce.

Publié le : 28 Juillet 2014

Au cours de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée, l’entourage — les aidants ou les soignants — est parfois confronté à l’annonce d’une mauvaise nouvelle. Maladie d’un conjoint, décès dans l’entourage, institutionnalisation non souhaitée, annonce d’une maladie grave ou d’une décision de protection juridique : l’annonce est souvent l’occasion d’interrogations éthiques. Faut-il, délivrer une information qui risque d’être mal comprise, voire de nuire ? Autrement dit, faut-il annoncer la mauvaise nouvelle ou est-il préférable de la taire ?
 
Il existe des raisons légales, déontologiques et morales qui incitent à informer le malade. Droit et devoir d’information, engagement moral envers la personne, loyauté, respect de l’autonomie et préparation de l’avenir motivent l’annonce de la mauvaise nouvelle. Dans une société autonomiste, la ligne morale est claire : on a le devoir de délivrer l’information au malade afin de le laisser libre d’exercer son autonomie décisionnelle. Cette annonce peut aussi être l’occasion de libérer des émotions jusque-là cachées et qui pouvaient nuire à la relation entre le malade et son entourage.
Dans certaines situations pratiques, il peut être toutefois légitime de vouloir cacher une mauvaise nouvelle : le malade d’Alzheimer est une personne vulnérable qu’une mauvaise nouvelle peut atteindre profondément dans son estime de soi, dans ses projets ou dans son bien-être, avec des conséquences parfois redoutables pour le malade, son entourage ou l’organisation des soins. Dans une optique bienfaisante, il est donc parfois nécessaire de taire une information pour protéger la personne, maintenir une relation thérapeutique ou éviter les situations de crise qui peuvent nuire au malade et à son bien-être.
Dans la maladie d’Alzheimer, la décision de l’annonce est rendue complexe par l’existence de troubles intellectuels et psychologiques qui éloignent le malade des représentations habituelles. Il est bien difficile de savoir ce que peut penser ou ressentir une personne qui ne peut pas appréhender le monde de la même façon. Variabilité des formes de la maladie, évolution imprévisible, étrangeté des symptômes, singularité des situations et des réactions des malades, difficultés de communication, influence des habitudes sociales et de l’inconscient rendent incertaines les conséquences de l’annonce. Chacun, confronté à ses propres représentations du monde et de la maladie d’Alzheimer, court le risque de mal estimer le malade et de choisir à tort de délivrer ou non la mauvaise nouvelle. Interroger la personne au stade débutant de sa maladie peut être un précieux recours pour décider ensuite d’une ligne de conduite à suivre. Il sera donc nécessaire de demander au malade d’exprimer ses choix et ses valeurs lorsqu’il est encore capable de le faire pour prévoir la posture à adopter en cas de difficulté. Cette démarche impose toutefois de bien comprendre la maladie et son évolution possible pour pouvoir anticiper les difficultés qui peuvent survenir.
L’information du malade d’Alzheimer ne peut donc pas se faire selon une approche dogmatique. Il faut essayer de trouver les clés d’une réflexion permettant de choisir la meilleure voie dans chaque situation rencontrée en tenant compte des réalités de terrain. Si l’horizon est celui de la vérité, le chemin à suivre peut s’en détourner lorsque la connaissance du malade et des enjeux met en évidence les dangers de l’annonce.
 
Quelques règles pratiques peuvent aider à appréhender la situation : bien évaluer le malade, essayer de recueillir son avis, celui de son entourage et des professionnels qui connaissent bien la maladie et son évolution possible. On peut alors se donner l’objectif d’informer la personne d’une manière adaptée, loyale, lente et progressive. Il sera utile de réévaluer régulièrement ce qu’a compris le malade à propos des informations données pour savoir s’adapter et poursuivre ou non la démarche d’information. Il faudra aussi accepter de revoir fréquemment ses propres représentations du malade et de la maladie pour ne pas rester piégé dans une vision figée du malade alors que sa maladie le transforme progressivement. Il peut parfois être utile de masquer la finalité de l’annonce pour éviter de déstabiliser certaines situations fragiles.
Si ces règles ne peuvent apporter une réponse systématique à la question de l’annonce d’une mauvaise nouvelle, elles peuvent aider à agir dans une éthique de la responsabilité en équilibre entre principe d’autonomie et de bienfaisance.