La personne malade et son entourage : anticiper, faire face au quotidien dans la durée

"Vivre cette maladie, c’est aussi éprouver les risques pour le couple et conjurer ce risque : « la maladie nous a détruits, mais elle ne détruira pas notre couple ! » Comment rester le conjoint quand l’essentiel des gestes sont ceux d’un soignant ?"

Publié le : 23 Septembre 2015

Comment les personnes touchées par la maladie et les proches témoignent-ils de la maladie et de ses conséquences ? L’entrée dans la maladie jusqu’au diagnostic est décrite comme une errance, avec des symptômes insidieux, inexplicables, des doutes qui s’installent, une attente de réponses qui va croissante, insupportable au fil des mois, parfois même de plusieurs années. Une errance de professionnels en professionnels, les différents traitements, parfois différents diagnostics successifs.
Et le doute qui est installé : « S’ils se sont trompés avant, pourquoi pas encore maintenant ? Si c’est seulement probable, ça pourrait être autre chose ! »
Le temps de l’annonce soulage autant qu’il assène une nouvelle terrible. Néanmoins, la maladie est reconnue, prise au sérieux, prise en charge, par une bonne équipe.
Puis, l’avancée de la maladie est éprouvée comme un déclin progressif, sournois, le sentiment que la vie se fait grignoter, que le temps se rétrécit inexorablement, que tout devient effort, tout devient épuisant : l’intrusion du médical dans la vie, l’intrusion des aides au domicile, le besoin d’être de plus en plus aidant, d’accumuler toutes les responsabilités.
La présence de l’entourage peut s’estomper progressivement « parce qu’on est des pestiférés », « parce qu’on est contagieux », « parce qu’ils ont trop mal de nous voir comme ça, parce qu’ils ne savent comment nous parler, comment être, même la famille, même les enfants ».
Vivre cette maladie, c’est aussi éprouver les risques pour le couple et conjurer ce risque : « la maladie nous a détruits, mais elle ne détruira pas notre couple ! » Comment rester le conjoint quand l’essentiel des gestes sont ceux d’un soignant ? Comment trouver la juste assistance précisément là où l’autre en est aujourd’hui de ses capacités ? Ne pas trop en faire, ni trop le laisser en difficultés. Comment rester unis ? Comment rester des parents ? Comment soutenir le conjoint malade à être encore investi comme un père ou une mère par les enfants ? Comment préserver l’amour, la relation, refuser que les soins enlèvent au couple jusqu’à son intimité ? Comment protéger l’autre, le protéger de la souffrance inhérente à la maladie comment de ma propre souffrance ?
 
Face à ces défis, se pose la question de l’accompagnement. Dans la maladie d’Alzheimer, de nombreuses propositions existent et, durant le parcours de soin, le diagnostic est un moment stratégique. C’est une crise douloureuse, mais une crise où le patient et le proche sont portés par des attentes importantes à l’égard des professionnels. Si un accompagnement doit être initié, c’est précocement, au décours de ce diagnostic.
À cette étape, il est possible de travailler sur le risque de rétrécissement des activités face à la maladie et aux angoisses, le contrôle qui envahit la relation, la centration sur la maladie au détriment de la relation et la centration sur le devoir d’être un bon aidant au détriment du lien. Il ne suffit toutefois pas de lister les défis, de penser à un dispositif et un temps adapté, de proposer des axes d’accompagnement, encore faut-il que les proches puissent s’emparer de ce type de proposition… Or, c’est loin d’être systématique.
Les professionnels et les associations font face à un paradoxe. Nous pouvons prendre l’exemple d’un couple qui accepte de témoigner : leur porte est ouverte et l’intervenant se met à l’écoute d’une souffrance importante des deux partenaires. Le courant passe bien et le couple fait un retour positif, exprimant l’intérêt et le soulagement qu’ils ressentent à travers ce moment de témoignage. Au terme de cet entretien, l’intervenant propose un accompagnement à domicile, gratuit, individualisé. Pourtant, le couple refusera cette aide, disant ne pas en ressentir le besoin (nous faisons d’ailleurs l’hypothèse que certaines personnes parmi les plus en souffrance refusent de l’aide).
Néanmoins, tous ne refusent pas et nous disposons de retours, souvent qualitatifs, sur l’expérience des proches et parfois des couples qui bénéficient d’un accompagnement. Ces retours d’expériences sont importants notamment pour les proches qui ressentent des difficultés et hésitent à solliciter un tel soutien. Qu’expliquent en retirer les participants ? Se sentir libéré, mettre à plat sa souffrance, ses doutes ; se confier, dire ce que l’on s’interdit de dire, ce que l’on ne peut pas dire ailleurs et à ses proches ; se sentir compris sans être jugé ; mettre des mots sur un vécu parfois confus, embrouillé, bouillonnant ; mettre « à l’endroit » ses idées, aller plus loin, envisager les choses différemment, sous un nouvel angle. Pour le proche, voir les choses différemment implique de réfléchir sur l’identité de la personne qui a la maladie, sur ses capacités, sur la relation, sur son histoire et sur ses désirs. Ce travail permet de restaurer une vision plus positive, de réintroduire le proche avec la maladie dans les décisions et le quotidien, de raviver les sentiments, raviver les liens. Raviver ces liens et l’amour passe aussi, quand c’est possible, par le travail en couple sur la relation, sur la résolution des conflits, la communication. Ce travail permet aux deux partenaires de partager des vécus qu’ils pourraient difficilement se dire autrement. Le psychologue fait médiation pour aider à verbaliser des émotions et clarifier les conflits. Cela permet à chacun de mieux comprendre le point de vue de l'autre sur l'arrivée de la maladie et sur ses conséquences. Parmi ces conséquences, il y a le rôle d’aidant, parfois hyper-investi, souvent malgré soi. Il y a une prise de conscience de la nécessité de retrouver un équilibre, une autre vision de l’aide et plus de créativité pour relancer le partage entre les deux partenaires, et surtout la mise en place d’actions concrètes pour soi.
En conclusion, l’aide au proche-aidant et à la personne touchée par la maladie vient conforter, aider à aller plus loin dans ce que chacun sentait déjà plus ou moins confusément. L’accompagnement vient consolider les actions mises en place spontanément et faciliter l’acquisition de nouvelles compétences : « J’ai pu renforcer ce que j’avais déjà et développer ce qui était caché. » La recherche en sciences humaines poursuit ses travaux pour étayer de tels dispositifs et montrer l’amélioration des ressources de chacun tandis que les conséquences de la maladie évoluent.