L’euthanasie, mort solitaire ou solidaire?

Cet article est tiré d'une intervention donnée dans le cadre des États généraux de la bioéthique

Publié le : 03 Mai 2018

Pourquoi parler de l’euthanasie dans le cadre des Etats Généraux de la Bioéthique? Je suis infirmière en soins palliatifs depuis an et demi ; travailler au contact de la mort, qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que je vis depuis an et demi ? Pourquoi ? Comment ? Je suis ici pour vous partager mes réflexions à ce sujet.
La mort c’est quoi ? Je ne sais pas. Un passage ? Un moment ? L’après, l’avant ? Je ne sais pas je n'en sais rien, ça m’échappe. La mort en elle-même, est-ce qu'elle fait mal, est-ce qu'elle fait peur, est-ce qu'elle est violente? Est-ce que...Je n'y connais rien et vous non plus. Vous non plus ni personne. Personne n’en revient. La mort ça m’échappe, ça m’échappe complètement et la mort c’est complexe.
Pourquoi c’est complexe ? Parce qu’on a tous nos représentations de la mort. Evidemment, c’est inconnu, on imagine donc tous quelque chose. parce qu’on a vu mourir notre père, notre mari, notre fils, parce qu’on a vu des films, parce qu’on a une religion, parce qu’on a en tête notre image de la mort idéale…
Quand la médecine ne peut plus proposer un chemin de guérison, y’a-t-il une solution ? La solution, je n’en connais pas; la mort est un terminus, et un terminus révoltant pour un être humain fait pour vivre. Qu’elle soit planifiée ou pas, la mort fait peur, et la prise en charge de cette peur est difficile.
Face à cette complexité, face à cet inconnu, quels sont nos moyens ?
Le moyen, c’est l’équipe. En soins palliatifs, c’est la grande spécificité. Ce que je vais vous dire va peut-être vous rendre jaloux si vous êtes dans le monde de l’hôpital mais je m’occupe au quotidien de 12 à 13 patients et nous sommes 1 médecin, 2 infirmières, 3 aides-soignantes, 1 infirmière coordinatrice qui est avec nous dans les soins, 1 kiné, 1 psychomotricienne, 1 psychologue, 1 art-thérapeuthe, des bénévoles...Pourquoi une équipe aussi nombreuse ? Pourquoi y-a-t-il besoin d’autant de soignants ? Parce que nous sommes face à une réalité qui nous échappe, une réalité qui est complexe.
Il y a des souffrances physiques qui sont là, qui sont réelles, mais qui sont aujourd’hui rapidement identifiables et surtout « soulageables » par les antalgiques. Et puis il y a les souffrances psychologiques, et psychiques. Ces souffrances-là, comment les règle-t-on ? Il y a deux solutions :
 

  • Il y a l’écoute, la présence, tout simplement. “Vous avez peur ? Vous voulez m’en parler ? Attendez, je m’assieds, je prends le temps”. Comment puis-je faire ça? Parce qu'à côté, il y a ma collègue infirmière qui est en train de distribuer les médicaments, en train de répondre aux sonnettes, en train de gérer le service. Si elle a besoin de moi, elle vient me chercher et hop ! Je vais chercher une bénévole qui va s’asseoir, prendre le relais, prendre le temps…
  • La 2ème solution, c’est la chimie. “Je suis angoissé”. Je peux vous proposer un anxiolytique pour agir sur l’anxiété, un hypnotique si vous voulez dormir.

C’est là qu’intervient la sédation ou plutôt plusieurs types de sédations :

  • Dormir de manière intermittente. Pour une sieste ; ou toute la nuit : un patient peut demander à avoir un pousse-seringue qui le fasse dormir de 20h à 8h. Pour être frais et dispo pour la journée à venir ;
  • On peut aussi dormir de manière temporaire, en réponse à un symptôme particulier (l’angoisse par exemple) ou en prévention d’un soin désagréable ; On appelle ça une sédation légère, qui permet au patient d’être dans un état de somnolence et de bien-être, tout en gardant un certain seuil de conscience ;
  • Enfin la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès. C’est un peu obscur pour certains : ce type de sédation, apport de la loi Claeys-Leonetti, permet à des patients qui considèrent leur souffrance comme intolérable, que ce soit sur le plan physique, psychologique, psychique ou spirituel de pouvoir dormir et que la mort survienne de manière naturelle mais dans leur sommeil. Et cette sédation, ce n’est pas pour les gens qui veulent mourir mais pour les gens qui vont mourir. Je m’explique : elle n’a pas pour intention de modifier cette temporalité-là, la mort surviendra quand elle surviendra, en revanche on vous assure que vous serez endormi quand elle surviendra. Cela ne se peut que lorsque le pronostic vital est engagé à court-terme. Qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi une telle imprécision de la loi ?

Comme je l’ai dit, c’est inconnu. Aucun médecin, même le plus qualifié, ne pourra vous dire : “vous mourrez demain, le 12 avril, à 17h40”. Ça c’est dans la fiction, si on peut voir le futur, ça c’est dans Le roi se meurt, Ionesco “Tu mourras dans 1h25”. Personne ne peut dire ça. C’est pour cela que la loi, comme elle est sage et qu’elle parle de quelque chose d’inconnu, nous dit que c’est au médecin, de manière collégiale, de pouvoir rendre compte de ces situations. C’est prévu par un protocole, c’est tracé et le principe de collégialité permet d’éviter au médecin d’être seul pour pronostiquer un patient.
Pourquoi vous dis-je ça ? Pourquoi cette liste ? Parce que, comme vous le voyez, les moyens pour soulager la souffrance existent et sont nombreux. Pour moi, le véritable enjeu est la création et la formation de nouvelles équipes de soins palliatifs.
Avec l’euthanasie, nous attaquerions deux principes fondamentaux :

  • Le médecin a interdiction de provoquer intentionnellement la mort
  • Ma liberté commence ou s’arrête celle d’autrui

Si vous légalisez l’euthanasie, c’est-à-dire, si vous reconnaissez comme un droit le fait de pouvoir dire “Je veux mourir et je veux mourir maintenant” ; si la mort est un droit pour le patient, alors l’euthanasie est un devoir pour le médecin. Ma liberté s’arrête où commence celle d’autrui. Je rappelle la définition de la liberté proposée dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen “La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui”.
J’arrive dans une chambre de patient. “Je vais mourir” … “Je veux mourir”…"Ce temps d’attente n’a aucun sens pour moi"…
Aujourd’hui, qu’est-ce que je fais ? Je m’assieds, je lui propose quelque chose pour s’apaiser, je lui propose d’appeler sa famille, ses proches, je luis propose de voir une psychologue...Je prends le temps, je le regarde comme une personne digne d’être regardée ; je prends le temps pour lui. Alors je suis très certainement indigne de ce qu’il va me dire, je ne suis que moi, je ne suis pas sa famille, et si ça se trouve il n’a plus de famille, sa souffrance est réelle et je ne la nierai jamais, si ça se trouve la solution n’existe pas. C’est nul mais au moins je suis une personne qui le regarde et qui lui dis : “Tu mérites que je m’arrête, et que je marche à ton pas parce que tu me dis ‘Je veux mourir’”.
Si je reconnais l’euthanasie comme un droit. Quand cette patiente va me dire “Je veux mourir”, mon seul devoir à moi, ce ne sera pas de m’asseoir mais de répondre “ah… je vais prévenir le médecin” et je tourne le dos à cette souffrance parce que je sors de la chambre. Super réponse ! Et que va faire le médecin ? Son devoir sera d’écouter, de prescrire un produit létal. De prescrire à qui ? A une infirmière.
On est en soins palliatifs et on a un problème, un problème grave, c’est que le médecin est seul auteur de sa prescription, ma collègue est toute seule derrière sa seringue et le patient se retrouve seul dans la chambre avec sa demande.
L’interdiction à donner la mort protège certes le patient mais elle protège aussi le corps médical. Si la mort n’est pas un droit c’est parce que la donner ne peut devenir un devoir.
D’ailleurs, si la mort est un droit, alors pourquoi le restreindre ; nous serions obligés de le reconnaître comme tel pour les enfants, les personnes handicapés, les patients atteints de maladies neurodégénératives, autrement dit, les personnes en situation de faiblesse.

Attention à l’abus de faiblesse !
Je voudrais profiter des Etats Généraux de la Bioéthique pour demander le développement de la culture palliative en France, qui passe par la formation de tout personnel de santé susceptible d’accompagner un proche et sa famille vers la mort ; et l’accord de moyens financiers conséquents pour y parvenir.