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Loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie : rupture ou continuité ?
"La loi du 22 avril 2005 poursuivait principalement deux objectifs[11]. Elle proscrivait l’obstination déraisonnable et avait institué une procédure collégiale et transparente des arrêts de traitement. Peut-on considérer dès lors que ces choix ont été remis en cause par la loi du 2 février 2016 et que la philosophie qui l’animait a été abandonnée? Dans un domaine qui admet peu les raccourcis simplistes et les raisonnements binaires, cette question appelle une réponse nuancée."
Publié le : 18 Mai 2016
La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de la vie dite « loi Leonetti » a souvent été critiquée pour être méconnue tant des professionnels de santé que de l’opinion publique. A supposer qu’il soit fondé, ce reproche a perdu beaucoup de son poids au cours du débat entretenu autour de cette loi depuis 2012. Entre l’engagement du candidat François Hollande pendant la campagne pour l’élection présidentielle de 2012 avec sa proposition 21[1] et la promulgation de la loi 2016-87 du 2 février 2016[2], rarement un texte de loi n’aura fait l’objet d’autant de discussions au sein d’institutions les plus diverses. Celles-ci ont été nombreuses en effet à être sollicitées sur une évolution possible de la loi Leonetti. Ont contribué à cette réflexion un rapport de l’ancien président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) [3], un avis du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) [4], deux avis du CCNE [5], une conférence des citoyens[6], un avis de l’ordre des infirmiers[7] tandis qu’une proposition de loi de Jean Leonetti renforçant les droits des patients en fin de vie était discutée à l’Assemblée nationale[8], sans compter les contributions de l’Académie nationale de médecine, des Espaces éthiques, de l’Observatoire national de la fin de vie et de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP).
Quelles raisons ont justifié un débat de cette ampleur s’étalant sur trois ans et demi ? L’application chaque année de la loi de 2005 à 25 000 malades en réanimation ne soulève pas de difficultés majeures. Il faut donc chercher ailleurs les motifs de cet intérêt pour cette question. Une prise en charge très inégale de la fin de vie dans une société vieillissante[9], la médiatisation de fins de vie douloureuses en marge de la loi Leonetti[10] et la revendication croissante de nos concitoyens en faveur d’une plus grande reconnaissance des droits des malades justifient sans doute largement la dimension exceptionnelle de ce débat.
La loi du 22 avril 2005 poursuivait principalement deux objectifs[11]. Elle proscrivait l’obstination déraisonnable et avait institué une procédure collégiale et transparente des arrêts de traitement. Peut-on considérer dès lors que ces choix ont été remis en cause par la loi du 2 février 2016 et que la philosophie qui l’animait a été abandonnée? Dans un domaine qui admet peu les raccourcis simplistes et les raisonnements binaires, cette question appelle une réponse nuancée. Issue comme la loi Leonetti d’une initiative parlementaire[12], la loi du 2 février 2016, s’inscrit dans le sillage de la loi de 2005, tout en créant deux nouveaux droits : la sédation profonde et continue jusqu’au décès et l’opposabilité des directives anticipées.
Une loi s’inscrivant dans la continuité de la loi du 22 avril 2005
Deux arguments plaident principalement en faveur d’une continuité de ce texte par rapport à la loi de 2005 : une opposition sans détour à la légalisation de l’euthanasie et la fidélité à des dispositions majeures de la loi Leonetti.
Le rapport de l’ancien président du CCNE, Didier Sicard, le CNOM, l’ordre des infirmiers et la majorité des membres du CCNE se sont prononcés clairement contre une loi autorisant l’euthanasie. Les dérives des pratiques euthanasiques constatées en Belgique par des publications scientifiques[13], expliquent non seulement que la légalisation de l’euthanasie n’ait pas prospéré en dehors du Benelux depuis 2009 mais peuvent avoir convaincu les professionnels de santé français que d’autres voies étaient ouvertes pour prendre en charge la fin de vie. Le taux d’euthanasies sans le consentement du patient en Belgique est le triple de celui relevé en France : 1, 8% contre 0, 6%[14] et dans 12% des cas les euthanasies sont administrées par des infirmières[15]. On citera comme dernière illustration de ces dérives le cas d’une euthanasie appliquée à une femme de 38 ans qui souffrait d’une maladie psychique apparue après une séparation amoureuse[16]. La voie du suicide assisté tel que pratiqué en Oregon a été analysée en détail par le rapport Sicard mais n’a pas été retenue dans ces contributions et par le législateur. On observe au passage que si la pratique du suicide assisté augmente en Suisse[17], s’il a été introduit en Allemagne dans des termes quasiment identiques à ceux de la Suisse[18], en revanche il a été clairement écarté au Royaume-Uni[19]. Dans ce paysage européen très morcelé de la législation sur la fin de vie, avec la légalisation de l’euthanasie dans le Benelux, la tolérance du suicide assisté en Allemagne et en Suisse, la position de la France est centrale et justifie que l’on s’interroge sur la portée de la réforme de 2016 au regard de la loi de 2005.
Plusieurs dispositions importantes de la loi du 22 avril 2005 ont été conservées par la loi du 2 février 2016 après un accord entre les deux assemblées dans le cadre de la commission mixte paritaire.
Après la navette parlementaire qui avait vu les deux assemblées s’opposer sur ce point, les trois critères alternatifs de l’obstination déraisonnable ont été maintenus : à savoir l’inutilité, la disproportion ou le seul maintien artificiel de la vie. Alors que ces trois critères ont été intégrés dans la pratique médicale depuis 2005 et ont largement fondé le raisonnement suivi par le Conseil d’Etat dans sa décision Vincent Lambert du 24 juin 2014[20], leur remise en cause ou l’amputation de l’un d’entre eux par la loi aurait été regrettable.
La nutrition et l’hydratation artificielles ont été également un sujet de désaccord entre les deux assemblées au cours des deux premières lectures. Le Sénat considérait que l’hydratation artificielle constituait un soin pouvant être maintenu jusqu’au décès, tandis que l’Assemblée nationale estimait que l’hydratation et la nutrition artificielles étaient des traitements. Nombreux étaient les arguments médicaux et juridiques donnant raison à la position de l’Assemblée nationale. Les travaux parlementaires de la loi de 2005, les points de vue de la British Medical Association, de l’association médicale américaine, l’avis du Conseil d’Etat émis à l’occasion de la révision de la loi bioéthique, assimilant les arrêts de nutrition et d’hydratation artificielles aux arrêts de suppléance vitale[21], les solutions jurisprudentielles américaine, britannique, italienne et québécoise sur le sujet[22], l’avis du CCNE allaient dans le même sens[23]. Les discussions entre les deux assemblées ont débouché au final sur un compromis. Elles attribuent à l’hydratation et à la nutrition artificielles le caractère de traitement, tout en permettant de les arrêter en cas d’obstination déraisonnable et en leur conférant à ce moment-là le statut de soins.
La règle du double effet qui énonce qu’en fin de vie, on a le droit de prendre le risque - même si celui-ci est énorme - d’un effet mauvais, si par ailleurs l’effet positif est indispensable, est conservée. Il convient que la situation soit désespérée, que l’effet bon soit absolument nécessaire, qu’il n’y ait pas d’autre solution et tout faire pour éviter l’effet mauvais. L’exégèse de la nouvelle version du double effet à l’article L. 1110-5-3 du code de la santé publique montre que le qualificatif de « secondaire » a disparu par rapport à la version du double effet contenue antérieurement à l’article L.1110-5. L’objet de la disposition reste cependant le même. Elle ne s’applique qu’au patient conscient, à charge pour le médecin d’en informer le malade, sa personne de confiance, sa famille ou un de ses proches.
Enfin le statut de la personne de confiance, introduit en 2002 et consacré en 2005, est renforcé, le médecin s’assurant que le patient est informé de la possibilité de désigner une personne de confiance et la personne faisant l’objet d’une tutelle pouvant rédiger des directives anticipées. La rédaction retenue par le Parlement s’inspire de deux dispositions auxquelles était attaché le Sénat, à savoir que la personne de confiance rend compte de la volonté du patient et que son témoignage prévaut sur tout autre témoignage. Cette rédaction répond au souci de faire de cette personne l’intermédiaire de la volonté du patient et de privilégier son témoignage sur tout autre. La désignation de la personne de confiance est désormais cosignée par la personne désignée.
Ces dispositions ne sont pas neutres car elles définissent des droits pour les patients à travers la personne de confiance et imposent des obligations fortes aux médecins comme l’interdiction de l’obstination déraisonnable. Mais leur impact reste moins important que l’introduction d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès et la portée conférée désormais aux directives anticipées.
Une loi créatrice de droits nouveaux pour le patient en fin de vie
Ce sont en effet indéniablement les questions soulevées par la sédation profonde et continue jusqu’au décès et la portée des directives anticipées qui ont cristallisé le plus l’attention, ces deux sujets participant tous deux d’une même volonté d’accorder plus d’autonomie au patient[24].
La sédation profonde et continue jusqu’au décès
La sédation profonde et continue jusqu’au décès a été décrite à l’Assemblée nationale lors du vote du texte de la commission mixte paritaire comme pouvant devenir une euthanasie déguisée[25] et sur certaines travées du Sénat en première lecture, le risque d’une confusion entre une action médicale à visée curative et un moyen technique pour faire mourir a été dénoncé[26].
Le dispositif sur la sédation profonde et continue jusqu’au décès a été nourri par les réflexions menées en amont du débat législatif auxquelles il a été fait référence plus haut.
Le rapport du professeur Didier Sicard justifie une sédation à but terminal en cas d’arrêt de traitement chez une personne consciente en fin de vie ou au vu de ses directives anticipées[27]. Le CNOM admet de son côté qu’une « sédation profonde et terminale » peut être proposée dans des situations exceptionnelles. Sont visées « certaines agonies prolongées » ou des « douleurs psychologiques ou physiques, qui malgré les moyens mis en œuvre restent incontrôlables »[28].
Un consensus s’est dessiné parmi les contributions du Rapport Sicard, du CNOM et de l’ordre des infirmiers avec un glissement sémantique de la sédation en phase terminale vers la sédation terminale. Le CCNE emploie l’expression de droit à une sédation jusqu’au décès si le malade en exprime la demande et lorsque l’alimentation et l’hydratation ont été interrompus à sa demande.
Mais dans ce domaine le choix des mots n’est pas neutre. Deux éléments en particulier doivent être pris en compte : le contexte et l’intention. S’agissant du premier critère, force est d’admettre que sédation en phase terminale et sédation terminale ne recouvrent pas les mêmes réalités. S’agissant du second critère, les travaux de la SFAP et du CCNE ont montré la diversité des situations auxquelles les professionnels de santé peuvent être confrontés. Ces derniers distinguent la sédation destinée à soulager un patient en fin de vie et la sédation pour faire perdre conscience à un malade jusqu’à la survenue de la mort. La première ne vise pas à provoquer la mort du patient mais à la rendre moins insupportable en cas de présence de symptômes réfractaires. Elle est proportionnée à la douleur. La seconde n’est plus proportionnée à la douleur et accélère la survenue de la mort.
Ces principes rappelés, la pratique invite à la nuance et à l’analyse casuistique. La souffrance psychologique doit-elle être traitée comme la douleur physique ? La SFAP dans ses recommandations sur les situations complexes indique que la sédation n’est pas justifiée par elle-même en cas de détresse émotionnelle ou psychologique vécue comme insupportable par les proches et /ou les professionnels de santé. Le soulagement de la personne est-il toujours assuré malgré une sédation, une étude japonaise estimant que son efficacité n’est pas constante[29] ? Cet acte n’aurait-il pas pour effet de faire du soignant un simple prestataire de service d’une volonté individuelle[30] ? Doit-on considérer la sédation en phase terminale accompagnant un arrêt de traitement comme une euthanasie douce ou comme un acte de bienfaisance médicale ? A cet égard on ne manquera pas de rappeler qu’en Belgique des professionnels de santé n’hésitent pas à considérer le raccourcissement de la vie par l’usage d’analgésiques sédatifs comme parfois approprié même en l’absence d’inconfort et pouvant de ce fait « améliorer la qualité de la fin de vie »[31]. Pencher dans cette direction, c’est basculer dans l’intention de tuer, puisque la motivation de l’inconfort ne peut même pas être avancée pour justifier le recours à cette pratique. Comme l’observe le Professeur Régis Aubry, dans certains pays voisins, le risque d’une dérive vers la sédation euthanasique est loin d’être théorique[32].
Au-delà de ces considérations médicales, fallait-il faire de cette forme de sédation un droit si l’état du patient le requiert ou si celui-ci le demande à l’instar de la recommandation précitée du CCNE ?
C’est sur ces deux plans médical et juridique que la loi du 2 février 2016 se différencie de la loi du 22 avril 2005. Mais pour autant ce nouveau dispositif se démarque des propositions du rapport Sicard en n’employant pas le terme de « terminal » pour qualifier la sédation profonde et continue jusqu’au décès et en ne faisant pas de cette sédation un droit automatique répondant à l’expression de directives anticipées.
Quels sont les critères, le champ d’application et la procédure de cette sédation profonde et continue jusqu’au décès ?
La sédation profonde et continue provoque une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès. Elle est associée à une analgésie et à l’arrêt des traitements de suppléance vitale. Elle est appelée à recevoir une application chez les malades conscients et inconscients.
Les critères de la sédation profonde et continue jusqu’au décès
La sédation profonde et continue intervient à la demande du patient lorsque son pronostic vital est engagé à court terme, c’est-à-dire dans l’espace de quelques jours ou de quelques semaines. Les deux hypothèses visées par la loi correspondent à la situation où le patient atteint d’une affection grave et incurable présente une souffrance réfractaire aux traitements et celle où la décision d’arrêt de traitement est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable. Dans les deux cas le patient est conscient, la première hypothèse ayant une vocation palliative et la seconde une vocation préventive. Dans cette dernière situation le législateur a eu le souci d’empêcher qu’un arrêt de traitement entraîne une souffrance insupportable ou un inconfort majeur chez le patient. La sédation est conçue dans ce cas pour soulager la souffrance non pour mourir. Jean Leonetti s’en est expliqué en ces termes devant la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale : « Ce que n’avaient prévu ni la loi de 2002, ni celle de 2005, ce sont les modalités de pris en charge des malades dont on arrête le traitement de survie… Il s’agit de faire en sorte que, lorsqu’un malade fait arrêter son traitement, le corps médical qui accepte à contrecœur la décision du malade, lui applique un traitement lui évitant toute souffrance potentielle » [33].
L’inscription de ce dispositif dans la loi est sans préjudice des dispositions de l’article R.4127-37,II du code de la santé publique, qui permet l’application d’une sédation aux malades cérébrolésés dont on ne peut évaluer la souffrance. Il appartiendra au pouvoir réglementaire de maintenir ces dernières dispositions soit sous leur forme actuelle, soit en les intégrant dans le nouveau décret d’application.
S’agissant du patient inconscient, une sédation profonde et continue associée à une analgésie en cas d’arrêt d’un traitement de suppléance vitale, est appliquée par le médecin lorsqu’il se refuse à faire de l’obstination déraisonnable (4ème alinéa de l’article L.1110-5-2 du code de la santé publique).
Le champ d’application géographique de la sédation profonde et continue jusqu’au décès
Cette sédation profonde et continue jusqu’au décès peut être mise en place au domicile du patient, dans un établissement de santé ou dans un établissement d’hébergement pour des personnes âgées dépendantes (EPHAD), ce qui soulève plusieurs questions sur le suivi du malade. Les établissements possèdent-ils la culture palliative pour garantir cette prise en charge ? La transparence de la procédure sera-t-elle assurée dans les EPHAD et à domicile comme dans les établissements de santé? Les observateurs les plus critiques ne manqueront pas de rappeler la corrélation prévalant entre la pratique des euthanasies en Belgique et aux Pays-Bas et le nombre de décès à domicile, le maillage territorial par les médecins généralistes étant en particulier beaucoup plus dense aux Pays-Bas qu’en France, où la moitié des décès sont désormais enregistrés en milieu hospitalier[34]. Aussi l’implication de l’hospitalisation à domicile au nom des principes posés par les articles L.1110-5 et L.1110-10 aurait tout son sens pour cette forme de prise en charge médicale dans les décrets d’application de la loi du 2 février 2016, d’autant que cette préoccupation de l’application de la nouvelle législation au domicile du patient a souvent été exprimée au cours des débats parlementaires[35].
La procédure de mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu’au décès
Cette sédation obéit à une procédure dont les modalités sont renvoyées au pouvoir réglementaire. Ce faisant, les règles posées par le pouvoir réglementaire seront essentielles et décideront de l’orientation de l’application de la loi. Un encadrement précis de cette sédation empêchera de verser dans un risque de dérive vers une euthanasie douce dont se sont émus maints professionnels de santé lors de l’élaboration de la loi.
Ce renvoi au pouvoir réglementaire prescrit par l’antépénultième alinéa de l’article L.1110-5-2 appelle cependant plusieurs questions : quel est le pouvoir réglementaire compétent ? Que faut-il entendre par procédure collégiale ? Quelle sera la composition de ce collège ? Le médecin engagera-t-il la sédation profonde et continue chez le malade inconscient atteint d’une affection grave et incurable, au vu de ses directives anticipées ? Les réponses à ces questions permettent d’apprécier précisément la portée du changement de la loi du 2 février 2016.
En choisissant de renvoyer au pouvoir réglementaire, sans plus de précision, la définition de la procédure collégiale, le législateur n’impose ni un recours à un décret en Conseil d’Etat ni un recours au code de déontologie médicale, qui relève d’un décret en Conseil d’Etat. Or la procédure collégiale des arrêts de traitement est régie aujourd’hui par le II de l’article R. 4127-37. En dehors de la suppression de la référence à l’article L.1111-13 abrogé par l’article 11 de la présente loi et du nouveau statut des directives anticipées, les règles de fond de cet article R.4127-37 n’ont pas vocation à être remises en cause. Il serait logique pour les professionnels de santé, même si il n’y a pas d’obligation formelle en ce sens imposée par la loi, que la procédure collégiale de la sédation profonde et continue jusqu’au décès ressorte aussi au code de déontologie médicale.
Une fois cette question de compétence résolue, il appartiendra au pouvoir réglementaire de définir le champ de cette procédure collégiale. Dans les décrets de 2006 et de 2010, la procédure collégiale a en réalité plus correspondu à une concertation qu’à une procédure décisionnelle proprement dite. Un commentateur a décrit dans ces termes la vocation de la procédure collégiale : « la procédure collégiale est un processus délibératif obligeant chacun à développer une argumentation dans un espace public. C’est un moyen essentiel d’éviter l’arbitraire des décisions solitaires imposées par un rapport de forces hiérarchiques [36]». En 2010, dans le II de l’article R. 4137-37, la procédure collégiale associe l’équipe de soins dans la mise en œuvre des arrêts de traitement. En concertation avec cette équipe, le médecin traitant, peut faire appel à un médecin consultant, l’avis d’un deuxième médecin consultant pouvant être sollicité par ces médecins. En 2016, dans l’antépénultième alinéa de l’article L.1110-5-2, il est imparti à l’équipe soignante de vérifier que les conditions médicales justifiant la sédation profonde et continue sont remplies. Le pouvoir réglementaire devra-t-il déterminer précisément la composition de cette équipe en faisant référence au personnel paramédical ou viser seulement l’équipe soignante, à l’instar de l’article R. 4127-37, II ?
L’article L.1110-12, issu de l’article 96 de la loi 2016-41 du 26 janvier 2016, ne laisse désormais guère de liberté au pouvoir réglementaire pour préciser les contours du collège. Adopté peu de temps auparavant par le Parlement dans le cadre de la loi de modernisation de notre système de santé, cet article définit l'équipe de soins comme un ensemble de professionnels qui participent directement au profit d'un même patient à la réalisation d'un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de perte d'autonomie, ou aux actions nécessaires à la coordination de plusieurs de ces actes, et qui exercent dans un ensemble, comprenant au moins un professionnel de santé, présentant une organisation formalisée et des pratiques conformes à un cahier des charges fixé par arrêté. Il s’ensuit que le cadre juridique pour la prise de décision de l’application de la sédation profonde et continue jusqu’au décès sera désormais plus large que celui qui s’appliquait aux procédures de limitation et d’arrêt de traitement. Il s’agit d’un changement passé inaperçu au moment de l’adoption de la loi du 2 février 2016 mais qui n’est pas anodin. Non seulement il élargit le champ des participants à la délibération collective mais il a vocation à s’appliquer également aux procédures d’arrêt de traitement régis par l’article R.4127-37, II, la procédure collégiale prévue à cet article s’inclinant devant l’article L.1110-12.
Le collège a reçu compétence liée pour apprécier si les conditions de la sédation profonde et continue jusqu’au décès sont réunies. Il devra motiver sa position sur les quatre critères exigés par la loi : la demande du patient, l’évaluation du pronostic vital, la souffrance réfractaire et l’arrêt de traitement. La traçabilité de cette position sera assurée, dans la mesure où elle devra figurer au dossier du patient, comme l’exige le dernier alinéa de l’article L.1110-5-2. L’évaluation du pronostic chez un patient ayant perdu toute capacité à communiquer ne sera pas un exercice facile. C’est la raison pour laquelle le législateur a parlé de pronostic vital engagé à court terme.
Si une unanimité se dégage au sein de ce collège pour constater que les conditions du recours à la sédation profonde et continue sont satisfaites, celle-ci pourra être pratiquée. Mais qu’en sera-t-il si un consensus ne se fait pas jour? Le pouvoir réglementaire pourrait-il prévoir un avis conforme d’un second médecin, sachant que l’article L.1110-12 précité ne fait pas de distinction entre les membres de l’équipe soignante ou devra-t-il tenir compte de la spécificité de la situation visée par l’article L.1110-5-2 pour imposer un avis conforme ? L’exigence d’un avis conforme parait difficile dans le nouveau contexte de l’article L.1110-12. On rappellera sur un autre plan que le II de l’article R. 4127-37 n’impose qu’un avis motivé du médecin consultant pour la procédure d’arrêt de traitement. Il serait sage que l’avis motivé du médecin consultant soit également requis pour la mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, comme pour l’application des arrêts de traitement, l’avis motivé d’un deuxième médecin consultant saisi par l’un des deux premiers médecins pouvant être aussi envisagé sur le modèle du II de l’article R.4127-37.
En décryptant cette mécanique de la procédure collégiale, on voit que des différences substantielles prévalent désormais entre le dispositif retenu pour l’application de la loi de 2005 et celle du 2 février 2016 mais on peut relever une continuité juridique entre ces deux textes sur d’autres points.
Une vérification sera préalable à la décision de mise en œuvre de la sédation, qui reste de la seule compétence du médecin en charge du malade, en vertu de l’article L.1110-5-3. Cette précision est nécessaire pour des raisons de bon sens et des motivations juridiques. Cette disposition ne transfère aucune responsabilité sur la famille, pouvant l’exposer à un risque de culpabilité. Elle clôt opportunément un débat ouvert par le CCNE, qui envisageait une procédure d’arrêt de traitement impliquant les familles, dans sa contribution préalable à la décision du Conseil d’Etat Vincent Lambert du 25 juin 2014[37]. Elle identifie le pouvoir décisionnaire comme l’y invite le Guide du Conseil de l’Europe sur le processus décisionnel relatif aux traitements médicaux en fin de vie[38]. Elle est conforme enfin au principe juridique de responsabilité pénale individuelle et non collective. Toutefois, le médecin pourra se dégager de sa mission pour des raisons personnelles comme l’y autorise l’article R.4127-47, celui-ci permettant au médecin de faire jouer sa clause de conscience. Qu’il s’agisse de la responsabilité de la décision de mise en œuvre de la sédation profond et continue jusqu’au décès et de la clause de conscience médicale, une comparaison des deux lois de 2005 et de 2016 conclut à la stabilité du droit applicable
Il reste à trancher la question du déclenchement de cette procédure chez un malade inconscient atteint d’une affection grave et incurable. Si cette procédure est envisagée dans les directives anticipées du malade et si les prescriptions de l’article L.1111-11 ne s’y opposent pas, le médecin en charge du malade serait en droit de recourir à cette sédation. Mais le patient n’aurait-il pas écrit de directives anticipées en ce sens, le libellé de l’antépénultième alinéa de l’article L.1110-5-2, fait obligation au médecin d’appliquer cette sédation. On rappellera que l’article 8 de la loi du 2 février 2016 ne prévoit pas de directives anticipées au titre de la sédation profonde et continue jusqu’au décès mais celle-ci peut être mise en œuvre à l’appui d’un arrêt de traitement lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté, au nom de la proscription de l’obstination déraisonnable. Le législateur a donc de facto considéré que ces directives anticipées n’avaient pas lieu d’être dans une telle situation, dans la mesure où lorsque le malade inconscient dans ce cas est atteint d’une affection grave et incurable, la sédation profonde et continue jusqu’au décès s’impose au médecin pour accompagner un arrêt de traitement. En d’autres termes dans cette hypothèse, les directives anticipées sont juridiquement inutiles, parce que la sédation profonde et continue jusqu’au décès est requise. Aux termes de l’article L.1110-5-2, la procédure collégiale est appliquée selon les mêmes modalités que pour le malade conscient.
La personne de confiance, la famille ou les proches sont appelés à être informés de la mise en place de la sédation profonde et continue, que le malade soit conscient ou non.
Si la sédation profonde et continue jusqu’au décès marque un changement indéniable par rapport à la loi du 22 avril 2005, la collégialité avec un champ étendu, l’obligation de respecter les quatre critères exigés par la loi, à savoir la demande du patient, l’évaluation du pronostic vital, la souffrance réfractaire et l’arrêt de traitement ne font pas de cette pratique médicale un automatisme, d’autant que la clause de conscience pourra toujours être opposée par le médecin au titre de l’article R.4127-47.
Des directives anticipées s’imposant au médecin sauf exception
La modification des directives anticipées constitue la seconde évolution de la loi de 2005. Si leur diffusion a été encouragée par la loi du 22 avril 2005, elles peinent à se répandre en France. Le taux de diffusion de ces directives par rapport au nombre de décès est estimé à 2, 5 % en France[39] contre 8 % en Autriche et 23% en Allemagne. La difficulté pour des bien portants à se projeter en fin de vie, plus généralement, le refoulement de la mort dans la société expliquent la faible mobilisation de nos concitoyens pour le bénéfice de ce droit que leur offre la loi. Les résistances du corps social à cette diffusion des directives anticipées sont d’ailleurs en contradiction avec la revendication des patients à disposer de plus d’autonomie et à faire reconnaître leurs droits auprès du corps médical.
Plusieurs changements caractérisent les directives anticipées issues de la loi du 2 février 2016 : leur validité, leur rang dans le faisceau d’indices à prendre en considération par le médecin traitant, leur contenu, leur portée et leur conservation.
L’article L.1111-11 ne leur reconnaissait jusqu’à l’entrée en vigueur de la présente loi qu’une durée de validité de trois ans. Désormais aucune durée de validité n’est exigée.
Dans le cinquième alinéa de l’article L.1111-4, les directives anticipées sont désormais en tête des éléments à prendre en compte par les médecins comme expression de la volonté des patients, alors qu’elles figuraient jusqu’à maintenant en dernière place, faisant apparaître une contradiction avec le II de l’article R.4127-37. Cette distorsion est corrigée par la loi.
Les professionnels de santé s’accordent à reconnaître que pour être opérationnelles ces directives doivent être précises. Des directives trop générales ne sont que de peu d’utilité pour le médecin traitant. C’est la raison pour laquelle la nouvelle rédaction de l’article L.1111-11 prévoit qu’elles puissent être rédigées conformément à un modèle élaboré par la Haute autorité de la santé. Cet alignement sur ce modèle n’est qu’une faculté, l’Assemblée n’ayant pas été suivie sur ce point pour faire de ce suivi une obligation.
Ces documents devront différencier la situation d’une personne non malade anticipant la perte brutale de capacité à exprimer sa volonté et la situation d’un patient atteint d’une maladie grave et incurable, qui connait les enjeux de ces directives[40]. Dans une démarche proche du Testamento Biologico italien[41], le médecin peut aider le patient à la rédaction de ces directives. A l’instar des recommandations du Conseil de l’Europe[42], de plusieurs jurisprudences européennes[43] et de la décision du Conseil d’Etat Vincent Lambert du 24 juin 2014[44], le médecin, en l’absence de directives anticipées, recueille le témoignage de la personne de confiance ou, à défaut, tout autre témoignage de la famille ou des proches (Art. L.1111-6).
Conçues à l’origine pour exprimer la volonté du patient au cas pour demander l’arrêt des traitements, ces directives ont reçu, à l’initiative du Sénat, un champ d’application élargi à la poursuite des traitements. Elles jouent donc désormais à la fois pour demander un arrêt de traitement et pour continuer un traitement. Elles s’imposent au médecin, sauf dans trois cas : une urgence vitale, un caractère manifestement inapproprié ou une rédaction non conforme à la situation médicale du patient. L’urgence vitale est destinée entre autres à faire échec à l’expression d’une volonté de suicide. Le caractère manifestement inapproprié renvoie à une motivation non médicale ne correspondant pas au besoin. La situation médicale hors champ peut faire référence par exemple à une rédaction désormais caduque, parce que le traitement en cause n’est pas celui visé dans ces directives ou par que leur rédacteur n’avait pas anticipé des circonstances qui auraient affecté sa décision comme l’envisage le § 25 (4) du Mental Capacity Act de 2005 à propos des Advanced directives[45]. Selon les mesures d’application du Patientenverfügungsgesetz de 2009 éditées par le ministère allemand[46] de la justice et de la protection des consommateurs, si le médecin traitant, l’équipe soignante, la personne de confiance, le tuteur, sur le fondement de gestes, de regards, d’autres témoignages expriment l’idée que le patient souhaite faire l’objet de traitements allant à l’encontre de ses directives anticipées, l’obtention d’un consensus de toutes les parties prenantes est requise, pour vérifier que ces directives anticipées correspondent encore à l’expression de la volonté du patient.
Il appartiendra au médecin de vérifier la validité des directives et pour écarter toute directive manifestement inappropriée, de s’assurer qu’elles sont applicables au traitement en cause. Pour refuser ces directives il revient au pouvoir réglementaire de définir une procédure. Là encore la logique voudrait qu’un décret en Conseil d’Etat insère ces dispositions dans l’ex-code de déontologie médicale.
Mais le choix de ce vecteur n’épuise pas le débat. Une incertitude pèse sur l’application de cette procédure collégiale pour refuser la mise en œuvre des directives lorsqu’il y a urgence vitale. Soit l’on considère que cette hypothèse n’entre pas formellement dans le cadre des hypothèses du 4ème alinéa de l’article L1111-11, soit on convient qu’une situation d’urgence vitale fait échec par définition à la mise en œuvre d’une procédure collégiale. Cette lecture est sans doute celle qui est la plus conforme à la lettre du 4ème alinéa et la plus réaliste.
Il restera là aussi, comme pour la sédation profonde et continue jusqu’au décès à déterminer le contenu de cette procédure collégiale. A la différence de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, l’avis du personnel soignant n’est pas requis. On peut donc concevoir que l’avis d’un médecin consultant comme le prévoit l’article R. 4127-60 soit sollicité. La notion de « consultant » renvoie à un médecin qui dispose des connaissances, de l’expérience, et, puisqu’il ne participe pas directement aux soins, du recul et de l’impartialité nécessaires pour apprécier la situation dans sa globalité. Ce praticien est étranger à l’équipe en charge du patient et s’il doit être compétent dans le domaine de l’affection en cause, il n’est pas obligatoirement un spécialiste ou un expert de la question.
Mais pour une bonne pratique de la loi, il n’est pas sûr que le pouvoir réglementaire ait intérêt à multiplier les formules de procédure collégiale, l’application par décret en Conseil d’Etat d’une seule et unique procédure collégiale pour les arrêts de traitement, la sédation profonde et continue jusqu’au décès et les directives anticipées serait plus facile pour les professionnels de santé.
Lors des débats ayant précédé l’adoption de la loi, l’idée de faire figurer les directives anticipées sur la carte vitale des assurés sociaux avait été avancée, afin qu’elles soient directement accessibles par les services d’urgence. Cette suggestion n’a pas été reprise par le législateur. Il reviendra à un décret en Conseil d’Etat après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés de définir les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées dans un registre national. La consignation de ces directives dans un registre national est reprise d’une idée émise par l’Inspection générale des affaires sociales[47], comme en Espagne. Quelles données accessibles aux responsables de la tenue de ces fichiers peuvent être contenues dans ce registre, sans méconnaître les libertés personnelles et le droit au respect de la vie privée? Une obligation de rappel pèsera sur les gestionnaires de ce fichier puisque ceux-ci seront astreints de rappeler régulièrement aux auteurs de ces directives, à un intervalle non défini, l’existence de ces directives. Qu’en sera-t-il avant la mise en œuvre de ce fichier ? La loi ne pouvant produire ses effets que lorsque ce fichier sera installé, les dispositions de l’article R. 1111-19 devraient continuer à s’appliquer d’ici là. Un dispositif particulier est prévu par ailleurs pour les personnes placées sous tutelle.
Si elle avait été adoptée, la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté aurait constitué une véritable rupture par rapport à la loi du 22 avril 2005[48]. Le débat nourri pendant deux ans et demi dans l’opinion publique avant la présentation de la proposition de loi sur le Bureau de l’Assemblée nationale, avec les contributions les plus diverses des professionnels de santé et de la société civile, a écarté cette voie. En 2005, la réponse à une mauvaise prise en charge de la fin de vie avait été médicale et avait pour l’essentiel codifié de bonnes pratiques. En 2016, la réponse apportée au débat sur la fin de vie est incontestablement plus « sociétale ».
La garantie de la transparence de la procédure, la collégialité élargie, la motivation des décisions de mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu’au décès constituent cependant autant d’éléments qui s’inscrivent dans la continuité de la loi du 22 avril 2005. Plus l’intention de la loi du 2 février 2016 d’accompagner les traitements de survie sera respectée, mieux ses garanties de procédure seront appliquées et diffusées dans le corps médical, plus le Plan de développement des soins palliatifs présenté pratiquement simultanément à l’adoption de la loi sera effectif[49], moins cette loi courra le risque d’avoir été instrumentalisée pour poursuivre une finalité qu’elle avait explicitement récusée. C’est à ce prix que le pas de la rupture ne sera pas franchi. La responsabilité du pouvoir réglementaire pour préciser ces règles, la responsabilité du corps médical pour les appliquer est donc considérable.
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