Penser un pluralisme des voies thérapeutiques

"Mais ne voit-on pas qu'il y a une forme de violence – pour les soignants comme pour les soignés - dans cette standardisation temporelle là où la qualité du soin ne résiste pas à la contrainte d'un rythme ou d'une cadence imposée."

Publié le : 13 Avril 2017

L'expression « approches non-médicamenteuses » n'est pas satisfaisante et ceci pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'elle suppose une centralité des thérapeutiques médicamenteuses et suggère que ces dernières se réduisent à la prise de médicaments. Double impasse. Ce qui devrait être centrale, c'est la démarche thérapeutique au sens fort du terme, c'est à dire fidèle à son origine grec - therapeutikos - qui signifie « qui prend soin de ». La démarche thérapeutique n'a donc aucune raison de se réduire à la prise de médicaments, et cette dernière à la seule stratégie du « lutter contre » (sur-détermination de la dimension curative du soin). Suggérer qu'il existe des approches non-médicamenteuses, c'est enlever au « prendre soin » toute son épaisseur, toute cette complexité que les soignants doivent mobiliser au quotidien pour répondre à des besoins toujours singuliers. Ainsi, pour sortir de ces raisonnements binaires, l'enjeu est bien de penser et faire vivre un pluralisme des voies thérapeutiques, au delà de l'opposition entre le « vivre avec » et le « lutter contre ».
 
Un tel pluralisme thérapeutique nécessite, me semble-t-il, trois conditions.
 

  1. Reconnaitre la pluralité axiologique : si le soin est un ensemble de pratiques, de valeurs et de vertus qui visent à répondre à l'appel d'une vulnérabilité, nous ne pouvons faire l'impasse d'une réflexion sur la pluralité de ces valeurs et leurs potentielles conflictualités. Le pluralisme thérapeutique est un pluralisme axiologique (des valeurs) dans le sens où sont mobilisées dans l'action de prendre soin une multiplicité de valeurs qui donnent au soignant et au soigné du sens à leur existence, c'est à dire une signification et une direction. Au sein d'une équipe, d'une institution ou d'une communauté, le partage de valeurs communes paraît indispensable pour « faire bien ensemble » mais cela ne peut se faire au détriment du respect de cette pluralité axiologique. Ainsi l'enjeu est tout à la fois de partager des valeurs communes mais aussi de traiter démocratiquement des conflits de valeurs qui peuvent apparaître lorsqu'il s'agit de choisir telle voie thérapeutique plutôt qu'une autre. L'éthique, précisément, est pertinente pour aider à relever ce défis.
  2. Reconnaitre la pluralité des rationalités (ou styles de raisonnement) : le soin est aussi une activité rationnelle, en plus d'être relationnelle et émotionnelle. Là où le pluralisme thérapeutique est difficile à penser c'est lorsque l'on croit qu'il n'y a qu'une forme de rationalité (ou du moins une forme supérieure de rationalité), avec un certain rapport à la preuve, à la démonstration et à l'évaluation. La rationalité statistique, celle qui permet de mettre les actes en chiffres et en grille, et de traiter de grands ensembles de données, n'est pas la seule rationalité que l'on peut mobiliser dans l'acte de soin. Si elle est puissante, elle est aussi réductrice et standardisante. La prise en compte de l'histoire de vie de la personne, du contexte, de son état émotionnel, l'analyse fine de ses besoins non-standards nécessitent autre chose qu'une rationalité statistique. Il est tout aussi rationnel d'agir en fonction de l'efficacité des fins, en fonction de l'effet, sans possibilité d'inscrire cet effet dans des cases bien précises qui correspondent à une autre forme de rationalité. Ainsi, le pluralisme thérapeutique c'est aussi cette possibilité d'agir en fonction d'une analyse contextuelle et relationnelle toujours particulière et dont le critère de pertinence sera l'effet positif sur la personne.
  3. Reconnaitre la pluralité temporelle : un autre effet de la standardisation par les grilles d'évaluation est l'homogénéisation temporelle des pratiques de soin. Or, si nous voulons véritablement un pluralisme thérapeutique, c'est à dire un pluralisme des façons de « prendre soin » - en fonction de la personne, du contexte et de certaines valeurs - alors il nous faut reconnaître qu'il existe des temporalités du soin qui sont différentes. Certes, la rationalisation des prises en charge soignantes est justifiée par une forme d'équité de traitement pour tous, là où il s'agit de donner autant de temps à l'un qu'à l'autre. Mais ne voit-on pas qu'il y a une forme de violence – pour les soignants comme pour les soignés - dans cette standardisation temporelle là où la qualité du soin ne résiste pas à la contrainte d'un rythme ou d'une cadence imposée. Laisser de la latitude temporelle au soin ce n'est pas faire preuve d'irresponsabilité, c'est tout simplement rendre possible une pluralité des voies thérapeutiques.