Stratégies d’accompagnement de ceux qui veulent savoir

"Les personnes malades quant à elles ont parfois décelé plus ou moins confusément des anomalies, des changements et cherchent une explication. La consultation en fournit une. Et face aux hypothèses et aux explications énoncées par le médecin, les attitudes sont variables. "

Publié le : 27 Février 2014

Besoin ou non de savoir

On peut être tenté d’assimiler le diagnostic, précoce ou non, à une annonce clairement circonscrite en temps et en lieu. Elle viendrait conclure en termes accessibles un ensemble cohérent d’investigations cliniques déclenchées par la plainte de la personne. Mais dans la plupart des cas la réalité est autrement complexe. Il existe une très large diversité d’itinéraires, d’acteurs, de termes et de temporalités qui participent au diagnostic. Le point de départ peut être le doute exprimé par la personne elle-même, l’alerte émise par l’entourage familial ou professionnel, ou un bilan neuropsychologique et somatique au sein d’une équipe gériatrique. Les itinéraires peuvent alors passer par le rendez-vous auprès du médecin généraliste, par un bilan au cours d’une hospitalisation en gériatrie, par le dispositif spécialisé d’un centre de la mémoire, par une consultation psychiatrique, etc. Les professionnels sont aussi nombreux : généralistes, spécialistes, psychologues, infirmiers, etc. Ensuite il existe une pluralité de types d’annonce en fonction des termes employés et des réalités dévoilées par les uns et les autres.
L’annonce s’inscrit dans un schéma temporel qui articule : des incertitudes initiales déclenchant des investigations successives avec l’usage de termes descriptifs censés lever progressivement ces incertitudes et la proposition d’un accompagnement. La temporalité est au minimum double : celle liée à l’expérience du patient qui suit un cheminement à partir d’une plainte plus ou moins précise et lui appartenant partiellement, et celle liée au milieu médical. Interviennent aussi la temporalité des proches et éventuellement celle recommandée par les guides de bonne pratique. Le schéma médical n’est pas toujours superposable au schéma subjectif du patient : son « besoin de savoir » certaines informations à un moment ne s’ajuste pas avec le degré d’incertitude lié au diagnostic pas plus que son « besoin de ne pas savoir » d’autres informations avec la proposition d’accompagnement quand elle est formulée. Par exemple qu’entend le patient lorsqu’on parle de maladie d’Alzheimer probable ? Qu’il y a une très forte présomption qu’il s’agit bien de cette maladie ? Qu’on n’est pas certain et qu’il faut encore confirmer ? Que cela peut être autre chose comme la dépression ou le vieillissement… ? Que les médecins ne savent pas ? Parfois, cette probabilité est un facteur de soulagement, comme si l’incertitude préservait l’espérance, elle est aussi un facteur d’immobilisme, rien ne s’engageant « tant qu’on n’est pas sur ». Enfin, gardons à l’esprit qu’un patient, même en quête d’un diagnostic, n’est pas à postuler comme en demande d’intervention, celle-ci pouvant s’inscrire dans une autre temporalité pour le patient alors qu’elle s’article avec le diagnostic pour le médecin. En définitive, un diagnostic et son annonce soulèvent un problème de partage entre deux mondes.
 

Droit de savoir, devoir de dire

Je souhaite revenir sur la question de la volonté et du droit de savoir, largement portée par les recommandations internationales sur le diagnostic. Comment concilier l’idée que la personne malade veut et devrait savoir avec les connaissances sur la proportion actuelle de personnes déficitaires et non investiguées, ou encore la proportion de personnes identifiées comme malades et non informées de leur diagnostic ? On peut aussi relever le délai entre la première plainte en consultation et l’annonce du diagnostic, en particulier pour les « patients jeunes ». Ce paradoxe concerne autant le diagnostic précoce que le droit au diagnostic plus simplement. Il cache en fait d’autres incohérences dans les attitudes des proches, des personnes malades et du schéma médical, qu’il faudrait mieux comprendre.
À suivre les enquêtes réalisées auprès de personnes interrogées sur leur attitude face à la survenue éventuelle d’une maladie d’Alzheimer, la majorité d’entre elles déclarent qu’elles voudraient être informées de la réalité de leur état. Des aidants qui voudraient savoir pour eux-mêmes dans un tel cas déclarent pourtant préférer que leur proche malade ne soit pas informé de son propre état. Dans ce cas, on relève une incohérence entre la volonté de savoir pour soi et la volonté que l’autre sache pour lui-même. Le motif allégué est essentiellement celui de la protection face à une réalité supposée insupportable ou que l’autre ne saurait pas affronter.
Les personnes malades quant à elles ont parfois décelé plus ou moins confusément des anomalies, des changements et cherchent une explication. La consultation en fournit une. Face aux hypothèses et aux explications énoncées par le médecin, les attitudes sont variables. Certaines personnes sont passives, d’autres veulent semble-t-il savoir et d’autres encore ne veulent entendre parler de rien qui soit en rapport avec la maladie. Parfois il s’agit des mêmes personnes mais à des moments différents. Au-delà du diagnostic, être en contact avec un service compétent est rassurant et constitue une source ultérieure de soutien. Pour autant certaines personnes ne sont pas d’emblée preneurs des dispositifs de prise en charge. Entre la recherche ou le refus d’information, de sécurisation et d’action, les attitudes sont conditionnées par des attentes subtiles qui peuvent paraitre incohérentes à l’interlocuteur.
Les enjeux éthiques liés au droit de « savoir » appellent ceux du « devoir dire ». Faut-il dire les choses simplement afin de permettre à la personne de prendre les décisions appropriées au bon moment ? Faut-il prendre le risque de faire de la vérité une sorte de rouleau compresseur ? On peut penser que le médecin généraliste est pris dans des enjeux complexes, pouvant conduire à l’abstention diagnostique, sous couvert par exemple de l’absence de  traitement curatif considéré comme efficace. N’y a-t-il pas une incohérence entre la ligne de conduite éthique recommandée et l’approche quotidienne concrète du praticien ?
 
À l’échelle de la société, il appartient à notre organisation collective de faire face aux changements. Nous aurons besoin de compétences renouvelées, de personnes ressources, probablement des métiers actuels à redessiner et de nouveaux à faire émerger pour consolider les démarches cliniques existantes et faire face aux enjeux à venir. La créativité est ici essentielle.
À l’échelle des différents systèmes impliqués par la maladie, il est question de la sphère individuelle du malade, de la sphère familiale et de la sphère médicale. Nous avons aujourd’hui beaucoup à gagner à mieux comprendre les interactions entre ces différents systèmes.
Enfin, à l’échelle individuelle, intrapsychique, la révélation de la présence d’une maladie ou le risque de survenue à terme d’une telle maladie constitue un bouleversement non seulement affectif mais également et surtout existentiel. Cette nouvelle implique un profond remaniement pour l’individu, à l’heure où la maladie entraine le délitement de son identité. Plus que jamais des stratégies d’accompagnement respectueuses de la temporalité et des enjeux psychiques individuels sont à promouvoir.